En ce jour du 1er Janvier 2016, je suis allée au temple bouddhiste comme la plupart des Japonais.
N'aimant pas la foule plus que ça, j'ai choisi de me rendre dans un petit temple de mon quartier, plutôt que d'aller dans un des gros monuments religieux d'Asakusa ou de Ueno par exemple.
Quelle ne fut pas ma surprise en découvrant l'énorme file d'attente qui se tenait devant le temple !
En effet, il est coutume pour Ganjitsu (le jour de l'an) de se rendre en famille au temple afin de prier Bouddha et d'attirer la chance pour la nouvelle année. Moment privilégié de retrouvailles familiales, Ganjitsu est également marqué par un retour aux traditions. Le jour de l'an est donc une excellente manière d'approcher au plus près les coutumes japonaises ancrées pour la plupart bien avant l'époque Edo. C'est le cas par exemple des Omikuji, les prédictions que l'on tire au sort dans une boite et que l'on conserve si elles sont heureuses ou que l'on accroche à un morceau de bois, généralement en pin, si elles sont mauvaises. La proximité du morceau de bois avec le temple est un bon moyen de conjurer le mauvais sort. En Japonais, « pin » se dit « matsu », ce qui signifie également « attendre » (bien que l'écriture en kanji des deux mots soit différente). En restant sur le morceau de pin, le mauvais présage attend alors près du temple et ne nuit ainsi pas à la personne qui l'a tiré.
C'est dans cette atmosphère familiale et spirituelle que j'ai découvert les koma. Près du temple, il y a de nombreuses activités qui remettent au goût du jour les jeux d'antan. Parmi eux, l’Hanetsuki : un jeu de badminton avec des raquettes en bois richement décorées de dessins de poissons, de fleurs ou encore de femmes en kimono. Le but est simple, comme au badminton, les joueurs doivent se renvoyer un volant en plume à l'aide des raquettes.
Si je voulais au début essayer ce jeu, mon attention a vite été attirée par des petites toupies en bois que des personnes de 7 à 77 ans essayaient de lancer à l'aide d'une ficelle. Pour être tout à fait honnête avec vous, ce n'est pas tant les toupies qui m'ont attirée, mais la ferveur qu'elles engendraient auprès d'un public si large. Découverte du jeu pour les plus petits, initiation des enfants en âge de ne plus essayer de manger la toupie, nostalgie du « bon vieux temps » pour les plus âgés, ect… le jeu des koma revêt de nombreuses symboliques pour les Japonais. C'est également un excellent moyen de transmettre aux générations futures l'héritage culturel local tout en s'amusant.
Si un petit bout de chou de 5 ans peut apprendre à jouer aux Koma, je peux le faire aussi ! C'est suite à cette réflexion surestimant hautement mes capacités à jouer à la toupie, que je me suis retrouvée avec une Koma dans une main et un bout de ficelle dans l'autre.
Après avoir lu et relu le modèle explicatif une bonne dizaine de minutes, je me décide enfin à essayer. Le concept est simple : vous devez enrouler, à plat et en spirale, votre ficelle sur la face interne de la toupie, en partant de son centre vers l'extérieur. La ficelle servant de propulseur, une fois que vous jetterez la toupie en tirant fermement sur le bout de ficelle, cette dernière devrait tournoyer sur la piste en bois…en théorie. Parce qu'en pratique, l'enroulage de ficelle, c'est comme le fait d'avoir une tête à chapeau ou du charisme, tu l'as ou tu l'as pas. Et clairement, je fais partie de la deuxième catégorie de personnes.
Après avoir lutté activement pour que le bout de ficelle s'enroule bien à plat comme il faut autour de la toupie, un vieux monsieur vient me montrer comment il faut faire. Il y a en fait une astuce : il faut enrouler le premier tour sur la phase externe de la toupie, puis tendre le fil sur sa face interne avant d'enrouler le reste de la ficelle sur cette même face. Mais attention, tout est question de dosage ! Le fil des koma c'est comme l'éducation des enfants : trop tendu, ça bloquera le sujet, trop souple, ça servira à rien.
Je ré-essaie donc d'enrouler la ficelle autour de ma koma, mais rien à faire : je ne suis pas douée. C'est là, qu'arrive mon héros, le petit-fils du gentil papy, même pas 10 ans, 1m30 au garrot, qui vient m'apporter une ficelle plus petite qu'il a jugé apparemment plus adaptée à ma toupie. Ni une ni deux, il me ré-explique en détails comme faire et me prépare la toupie pour que je puisse la lancer. Ce petit est trop choupi ! Pleine d'espoir, je lance donc la koma qui après s'être détachée de la ficelle, retombe sur la piste comme un flan tout juste démoulé de son petit pot. Parce qu’ of course : l'enroulage de la ficelle est une chose, mais le mouvement du poignet en est une autre !
Hilare, le petit me réexplique alors comment faire et en profite pour me faire une petite démonstration : vingt secondes plus tard, la toupie tournoie au milieu de la piste sous le regard fier et admiratif des autres personnes.
Impressionnée autant que dégoûtée, je lui demande donc de me ré-expliquer une énième fois le procédé. Et c'est après plusieurs tentatives ratées, les conseils de la grand-mère de mon prof particulier, et les encouragements de son papy, que je réussis enfin à faire tournoyer ma toupie pendant quelques secondes. Victoire ! Mon sensei est fier de moi et les autres participants poussent un « hoo » de surprise (ce qui ne vexe même pas : moi non plus j'y croyais plus).
Conclusion
Une découverte culturelle intéressante, des rencontres géniales et encore un bel exemple de l'amabilité japonaise. L'année prochaine, j'y retourne et je passe au niveau 2 : essayer de faire rebondir la toupie sur la ficelle !
Edit: Aujourd’hui j’ai appris que les koma étaient un jeu réservé aux garçons il y a de cela une quarantaine d’années ! J’ai voulu savoir pourquoi mais personne n’a été capable de me donner une explication. Ma théorie est que, comme cet objet requiert de l’habilité et une certaine technique (notamment via le maniement de la ficelle), la koma a été cataloguée comme un instrument masculin, la technique étant réservée aux hommes (cf: TABET, Paola, « Les mains, les outils, les armes », L’homme, vol. 19, n° 3, 1979, p. 5-61). Piste à creuser…
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