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Bref, je me suis fait “kabe-doner”






Le mois dernier, je suis allée dans un onsen de la préfecture de Shizuoka. Si tout s'est merveilleusement bien passé, je ne me doutais pas que le retour serait aussi “surprenant”.



L’hôtel où j'ai séjourné était magnifique, la vue depuis ma chambre était superbe, et j'y ai passé un agréable moment. 


Malheureusement, toutes les bonnes choses ont une fin, et mon petit moment de quiétude n'a pas échappé à la règle. Après deux jours de calme et de volupté, je quitte donc cet havre de paix pour regagner la capitale.


Pour retourner à Tokyo depuis la station thermale d'Ohito, il faut prendre deux trains : une ligne locale peu fréquentée jusqu'à la gare de Mishima, puis le Shinkansen pendant une heure.





(Photos : la station d'Ohito ou le pittoresque des gares de campagne au Japon)




Après quelques minutes d'attente sur le quai quasi désert de la station d'Ohito, je monte dans un petit train de la ligne Izuhakone Tetsudo-Sunzu.


Ce train est l'exemple type de ce qui se fait en campagne : des banquettes deux places se faisant face en guise d'assise, un intérieur très kitch qui rappelle les wagons des vieux films anglais, un nombre de passagers très restreint, on est bien loin des trains bondés de la capitale où tous les passagers sont collés les uns aux autres aux heures de pointe.


En effet, dans mon wagon, il n'y a qu'un couple de personnes âgées assi à deux sièges de moi, et un jeune homme qui occupe la double banquette située à côté de la mienne, le couloir les séparant.




J'ai passé la moitié du trajet à profiter des derniers instants de sérénité que m'offrait les plaines de Shizuoka : des rizières à perte de vue entre les villages de la préfecture, de fins ruisseaux irriguant ces dernières, de petites maisons individuelles qui viennent se perdre de temps à autre dans cet ensemble verdoyant, on se croirait tout droit projeté dans une œuvre de Miyazaki !


Ayant vécue dans la préfecture de Mie pendant plusieurs mois, ces quelques minutes de tranquillité me sont précieuses et me rappellent au combien la campagne japonaise peut être belle et reposante.


Pourtant, une petite rivière et une jolie maison toute blanche sont les dernières choses que j'ai eu la chance d'admirer de ce trajet avant qu'une énorme main ne vienne se coller contre la vitre, balayant avec elle mon instant de nostalgie.


Surprise, je me retourne alors et constate avec effroi qu'un visage tout sourire se tient à cinq centimètres du mien : le jeune homme de la banquette voisine, s'est déplacé sur la mienne !



(Photo : L'intérieur typique d'un train de campagne (ici à Toba dans la préfecture de Mie))




« Tu viens d'où ? », « Tu parles japonais ? », « Qu'est-ce que tu fais là ? », l'énergumène m'a ressorti toutes les phrases du Top que je vous ai posté il y a trois semaines en un temps record.


Je ne sais pas si c'est son visage situé à quelques centimètres du mien, ou sa main collée contre la vitre qui fait que je me sens un peu “piégée” entre lui et la fenêtre du wagon, mais j'ai quelques difficultés à répondre aux questions qu'il me pose sans paraître mal à l'aise.


Voyant que ma gêne ne semble pas l'encombrer plus que cela, et qu'un film un peu glauque commence à se dérouler dans ma tête, je décide alors de l'éconduire gentiment en lui disant que je ne suis ici que pour passer un week-end avec mon fiancé. Je commence donc à lui raconter la vie de l'illustre et fictif Mister Frenchy Japan, employé de banque à Mishima avec lequel je vais me marier en Juillet : « … et je suis très heureuse avec lui ! J'ai hâte de devenir sa femme ! ».


Bien que je sois peu convaincue de mon histoire, elle semble fonctionner puisque Don-Juan commence à reculer, pour finir par me dire ’‘bye bye“, prendre ses affaires et descendre du train à la prochaine station.


C'est donc un peu perturbée que j'arrive deux arrêts plus tard à Mishima pour prendre ma correspondance. Et là, je réalise : je viens de me faire ’'kabe-doner’' !



(Photo : Moi, sûrement, après m'être fait déranger en pleine contemplation campagnarde)




D'être quoi ? ’'Kabe-donée’' ! Certes, cette expression est de mon cru, mais elle fait référence à une pratique quant à elle bien japonaise : le kabe-don !


Derrière ce mot à coucher dehors, se cache en réalité une technique de drague très simple qui ne vous demande que deux choses pour la mettre en œuvre : de l'audace et une surface plane (une bonne phrase d'approche ne semblant pas obligatoire ici).


En effet, ”Kabe-don“ vient du mot ”kabe 壁’’ signifiant “mur”, et de l'onomatopée “don” faisant référence au bruit de la main de Casanova qui vient s'abattre sur le dit mur. Le but est donc très simple : un homme s'approche de la femme qu'il courtise et vient prendre appui sur la surface située derrière celle-ci pour lui compter fleurette.


A l'origine de cette technique : les shojo, ces manga romantiques destinés à un public adolescent, où les protagonistes mâles ont souvent recours au kabe-don pour prouver à l’héroïne qu'ils sont beaux et pleins de virilité.


En effet, si le kabe-don est populaire dans la subculture japonaise, c'est avant tout selon moi parce qu'il répond aux codes universels de la joute amoureuse.



(Photo : une jeune fille rougissante, un garçon entreprenant, et vous avez les codes de la romance à la Japonaise. Mention spéciale ici à LA phrase d'approche typique des shojo, ou l'art de choisir sa punch line (source : Kaichou wa maid sama))




Avec le Kabe-don, le séducteur se voit attribuer des valeurs qui le présentent socialement à sa cible comme un partenaire amoureux de premier choix.


Pourquoi le sexe fort fantasme sur les fesses pulpeuses de Beyonce ? Pourquoi les femmes sont plus attirées par les hommes grands que par les petits ? Parce qu'inconsciemment des hanches larges sont synonymes de fertilité et qu'une grande taille est associée à la protection (et donc à la sécurité du foyer).


En effet, la sélection sexuelle, nécessaire à la survie de l'espèce, nous attirent vers les personnes qui seraient potentiellement de bons parents pour nos futurs enfants.


C'est pourquoi, le courage de faire le premier pas, l'assurance dont l'homme fait preuve, ou encore l'aspect protecteur du cocon que forment ses bras qui encerclent la femme comme pour la protéger du monde extérieur, apparaissent comme autant de valeurs positives que l'on pourrait associer inconsciemment à l'homme adepte du kabe-don.



Si ce dernier flatte donc le système de valeurs du séducteur qui s'y essaie, la technique semble bel et bien faire l'objet d'un fantasme féminin puisqu'un “Kabe-don Cafe” éphémère a même ouvert à Harajuku en octobre 2014. Pendant 6 jours, des femmes de tout le pays pouvaient ainsi venir se faire “kabe-doner” par un mannequin en plastique déguisé en serveur.


Cet aspect commercial du kabe-don a même encouragé la marque de vêtement GU a engagé des acteurs lors d'un événement assurant la promotion de leur collection hivernale quelques mois plus tard. Et au vu des photos disponibles sur le site Japan Trends, les clientes semblaient ravies !





(Photos : Le Kabe-don Cafe éphère d'Harajuku et la campagne promotionnelle de GU, quand le fantasme fait vendre (source : Japan Trends))




Pourtant, bien que le kabe-don apparaisse comme un fantasme lucratif pour l'industrie du service, la transition de l'imaginaire à la réalité semble plus difficile qu'elle n'y paraît.


Selon un sondage effectué en 2014 par le média féminin Woman my navi, auprès d'une centaine de femmes âgées de 22 à 34 ans, près de 70 % d'entre elles avouait ne jamais vouloir être confronté à ce genre d'approche. Parmi les raisons évoquées, l'aspect effrayant du Kabe-don, le sentiment d'être prise au piège, et le côté peu classe de la technique. A contrario, parmi les femmes disant bien vouloir être “kabe-donées” un jour, la curiosité apparaissait comme la principale motivation de cette envie.


Cet aspect repoussant de la pratique, les hommes l'ont bien compris, puisqu'un sondage réalisé l'année dernière par le même média, auprès d'un panel masculin de 22 à 39 ans, a montré que plus de 93 % des hommes interrogés n'avait jamais tenté le Kabe-don par peur de paraître ridicule ou d'effrayer l'objet de leur convoitise.





(Photos : Des détracteurs du Kabe-don le tournent même en ridicule (source : RocketNews24))




Conclusion


Pour avoir eu un aperçu live de cette technique de drague, je pense sincèrement que le Kabe-don doit faire partie de ces objets de fantasme qui doivent rester de l'ordre de l'imaginaire. Je terminerai par cette petite vidéo de la chaîne Asian Boss, un duo de youtubeurs japonais et coréen qui s’est demandé quelles seraient les réactions des Occidentales si elles se faisaient “kabe-doner”. Le moins qu’on puisse dire, c'est que le résultat est surprenant !







Sources :


→ Site de Woman my navi : http://woman.mynavi.jp/


→ PRESTON, Phro (pseudo.), Kabe-don: How tough guys show their love!, Rocketnews24.com, 2013. [En ligne] à l'URL : http://en.rocketnews24.com/2013/12/17/kabe-don-how-tough-guys-show-their-love/


→ WILLIAM, Morinaga opens pop-up “Kabe-don Cafe” in Harajuku with doll-waiter for seducing women against a wall. Japan Trends, 2014. [En ligne] à l'URL :http://www.japantrends.com/morinaga-kabe-don-cafe-doll-waiter-hand-wall-harajuku/


→ WILLIAM, GU holds “Kabe-don” event at Ginza branch, hot guys trap female customers against wall. Japan Trends, 2014. [En ligne] à l'URL : http://www.japantrends.com/gu-kabe-don-ginza-event/


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