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Bref, je suis un p'tit biscuit






La semaine dernière j'ai eu 25 ans. Et comme chaque année, j'ai reçu beaucoup de messages me souhaitant un joyeux anniversaire.


Sauf que cette fois-ci, j'ai pu distinguer deux types de messages : les traditionnels « bon anniversaire », plus ou moins suivis de smiley douteux, qui font toujours plaisir ; et les « Happy Birthday » me conseillant gentiment de commencer à chercher un époux, originaux certes, mais moins agréables à recevoir.


Je vous laisse tout de suite deviner lesquels venaient de mes amies japonaises…







25 ans et des gâteaux



Le 12 juillet, je suis officiellement devenue un KurisumasuKeki (クリスマスケーキChristmas Cake).



Similaire en tout point aux Catherinettes, cette appellation désigne au Japon les femmes de 25 ans ou plus qui ne sont toujours pas mariées.


Et si la comparaison entre ces demoiselles et les gâteaux de noël peut prêter à sourire, l'expression est en réalité beaucoup plus cynique qu'elle n'y paraît.




La semaine précédant le 25 décembre, les Japonais ont pour habitude d'acheter ce qu'on appelle ici des Shoto Keki (ショートケーキ), des shortcakes aux fraises.


Très prisés au moment des fêtes, on en trouve alors partout et leurs prix peuvent rapidement décoller s'ils sont réalisés par de grands pâtissiers locaux.


Pourtant, il arrive que certains gâteaux ne trouvent pas preneurs. Trop petits, trop gros, trop chers, ou n'ayant pas assez de fraises, les invendus sont donc bradés la semaine suivante à des prix imbattables dans l'espoir que quelqu'un les achète afin de ne pas être jetés.



Selon les Japonais, les femmes sont comme ces Shoto Keki. Si dans la première moitié de leur vingtaine, elles intéressent beaucoup d'hommes, passé 25 ans, les prétendants se font plus rares. Et ces dernières doivent alors revoir leurs standards si elles ne veulent pas finir « vieilles filles ».


C'est odieux ? Oui ! C'est sexiste ? Oh que oui ! C'est encore d'actualité ? Plus vraiment…




Datant des années 1980, cette expression est apparue dans une période où le mariage avant 25 ans était alors le modèle social en vigueur.


Aujourd'hui, l'âge du premier mariage ayant reculé comme dans tous les pays développés, l'expression n'est plus “valable”. Pourtant, elle continue d'être utilisée par les Japonais pour désigner non plus cette fois-ci les femmes non-mariées, mais celles qui ne sont pas encore dans une relation assez sérieuse pour déboucher sur un mariage avant leur 30 ans.



(Photo : Qu'est-ce qui est petit, blanc et esseulé ? [Celui qui a répondu Miss Frenchy Japan aura 7 ans de malheur à la suite de la lecture de cet article] (source :akasaka tops))




Les Toshi-Koshi Soba et autres Himono Onna



La métaphore des Shoto Keki n'étant plus valide depuis le milieu des années 1990, il a donc fallu trouver une autre comparaison pour désigner les femmes ayant passé l'âge moyen du premier mariage, estimé à 29,4 ans selon le dernier rapport du Ministère des Affaires Intérieures et des Communications.




Le domaine culinaire étant très riche, on s'est alors tourné vers les Toshi-Koshi Soba (年越し 蕎麦 としこし そば), les “soba de fin d'année”.


Apparue à l'époque Edo (1603-1867), la tradition des Toshi-Koshi Soba veut que l'on mange un bol de nouilles au sarrasin la veille du Nouvel-An.


Comme pour la métaphore des gâteaux de Noël, celle dessoba repose sur la différence de valeur accordée aux pâtes avant et après leur date habituelle de consommation : les nouilles au sarrasin étant très prisées avant le 31 décembre, on se les arrache à prix d'or, alors qu'après le Nouvel-An, elles perdent de leur prestige comme les trentenaires sur le marché matrimonial.



(Photo : Les soba de fin d'année, une tradition qui perdure (source : Live Japan))




Très inspirés, les Japonais ont bien évidemment tout un panel de comparaisons comme celle-ci pour désigner les trentenaires célibataires. Parmi elles, la métaphore de l’Himono Onna(干物女 ひものおんな).


Littéralement « femme-poisson séché », l'expression fait référence aux pièces trop abîmées pour être encore vendues sur les marchés aux poissons et qui doivent alors être grillées pour être aptes à la consommation.


Si comparer les femmes à du poisson semble bien plus offensant que de les rapprocher des pâtes ou de la pâtisserie, la comparaison n'est pourtant pas si péjorative que cela, puisque l’himono était un mets très populaire auprès de la noblesse jusqu'au début du règne des Tokugawa (1603-1867). Et il est encore aujourd'hui offert en offrande à la déesse Amaterasu (天照 あまてらす) à Ise-Jingu (伊勢神宮 いせじんぐ).



(Photo : Qui l'eut cru que le poisson séché était raffiné ! (source : cupido Japan))




La norme Tekireiki, ou le fléau des repas familiaux



Mais au fait ! Comment en est-on venu à comparer les femmes avec des gâteaux ?


Pour le comprendre, il faut remonter aux années où la métaphore des Shoto Keki est apparue.



En pleine période de boom économique, les années 1980 ont donné lieu à de nombreuses études en sciences humaines. Et économistes, politiques, mais surtout sociologues, se sont alors empressés de théoriser les faits sociaux de leur époque.



Parmi eux, la période durant laquelle il est socialement accepté de se marier, le Tekireiki(適齢期 てきれいき). Désignant littéralement le laps de temps selon lequel une personne a le plus de chance de se marier dans la société japonaise, le Tekireiki est apparu pour aider les sociologues japonais à comprendre les trajectoires matrimoniales de leurs pairs.


Prenant en compte tout un tas de paramètres tels que la CSP, le back-ground éducatif, ou encore le milieu familial, cet indicateur varie alors selon les sexes. Et il s'étend aujourd'hui pour les femmes des premières années de la vingtaine aux derniers âges de cette dernière.




S'il représentait à la base une véritable notion sociologique, le Tekireiki appartient désormais à ces postulats scientifiques partis en cacahuète une fois passés dans le sens commun. A l'image de la théorie du point Godwin par exemple, qu'on retrouve à tort et à travers dans n'importe quel débat.




En effet, sous-entendant qu'il est plus difficile de trouver chaussure à son pied une fois la vingtaine terminée, la notion est ré-utilisée à tout bout de champs par les Japonais des générations antérieures pour rappeler à leurs juniors approchant la trentaine qu'il serait temps de songer au mariage.


C'est pourquoi, il n'est pas rare au Japon que passé 25 ans, votre entourage commence à s'interroger sur votre vie amoureuse. Et notamment, les femmes plus âgées que vous qui ont connu les premières heures d'engouement (et/ou de peur) qu'à susciter la notion de Tekireiki lors de sa mise en place. De quoi passer encore de bons dimanches en famille à côté de votre tante Toshiko !



Pourtant, le sens commun n'a retenu que la partie alarmante de la théorie. Et à totalement omis le fait que l'indicateur dépendait de tout un tas de paramètres qui font qu'une femme de 20 ans n'aura pas forcément plus de “valeur” sur le marché matrimonial qu'une femme de 30 ans.







Relativisons !



Pour les petits biscuits et les charmants poissons du Japon, tout n'est pas noir ! Et les trentenaires, voire les quarantenaires arrivent tout aussi bien à séduire que les minettes de la vingtaine. Elles ont même beaucoup de succès auprès des hommes plus jeunes qu'elles qui voient en elles un gage de sérénité, tant psychologique que financier.


Et bien que la majorité des Japonaises se marient pour la première fois entre 25 et 29 ans selon le dernier rapport du Ministère de la Santé, du Travail et des Affaires Sociales, un mariage sur trois en 2015 comptait une mariée de plus de 30 ans !







Conclusion


N'étant pas Japonaise, je ne me considère pas comme un petit gâteau de Noël. Et à toutes celles qui me diront que j'en suis un, je répondrai par cet adage bien de chez nous :« C'est dans les vieux pots qu'on fait de la bonne soupe » !






Sources


Articles et Ouvrages


CHAVEZ Amy, « Is Japanese language becoming less discriminatory towards women? »,RocketNews24, 2016. [En ligne] à l'URL : http://en.rocketnews24.com/2016/11/17/is-japanese-language-becoming-less-discriminatory-towards-women-women-in-japan-series/


ELLINGTON Lucien, Japan. California : ABC-CLIO, 2009, 337 p. [En ligne] à l'URL:https://books.google.co.jp/books?id=Fox9YR80V7sC&pg=PA199&lpg=PA199&dq=wedding+age+japan+1980&source=bl&ots=30ta7_6hoS&sig=xu5tVxgVj41BxS8rKIlSYkghyEc&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwi31Nefl4nVAhWFxbwKHZl7CfIQ6AEIcTAM#v=onepage&q=wedding%20age%20japan%201980&f=false


HEDWAT Omar, « The Theory of Japanese Women and Chritsmas Cakes », Gurashii, 2016. [En ligne] à l'URL: http://www.gurashii.com/the-theory-of-japanese-women-and-christmas-cakes/


Sites officiels du Gouvernement Japonais


Statistiques du Ministère de Affaires Intérieures et des Communications (2014):http://www.stat.go.jp/english/data/handbook/pdf/2014all.pdf


Statistiques du Ministère de Affaires Intérieures et des Communications (2016) :

http://www.stat.go.jp/english/data/handbook/c0117.htm


Statistiques du Ministère de la Santé, du Travail, et des Affaires Sociales (2015):http://www.mhlw.go.jp/english/database/compendia.html


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