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Choc (culturel) sur l’autoroute: aires de services, radars et questions existentielles




Pendant la Golden Week, j'ai visité le Tohoku avec des amis de famille. De la préfecture d'Akita en passant par celle d'Iwate, j'ai eu droit à mon premier baptême d'autoroute japonaise.



Assise confortablement à l'arrière de la voiture de mes amis, je contemple le paysage de la campagne nippone depuis notre départ de Morioka. La destination du jour ? Les vestiges d'Hiraizumi, ancienne capitale du Tohoku sous Heian (794-1185), et actuel site classé au patrimoine mondial de l'UNESCO. Pour s'y rendre depuis le chef lieu d'Iwate, rien de plus simple : il suffit de prendre l'autoroute reliant Aomori à Sendai durant une heure et demie.



Vingt minutes de plaines étendues plus tard, nous arrivons à la borde de péage qui marque le début d'un long voyage jusqu'au sud de la préfecture.


Alors que je m'attendais à un arrêt de la part du conducteur, je suis surprise de constater que la barrière de sécurité se lève d'elle-même au passage de notre véhicule. Magie ? Non, progrès ! La voiture est en réalité équipée d'un dispositif de paiement automatique, cette chose qui vous coûte un bras en abonnement annuel en France alors qu'elle est gratuite au Japon.


En effet, aucun forfait n'est nécessaire pour avoir recours à ce système : il vous suffit de remplir un formulaire pour que les dépenses enregistrées par le mécanisme soient directement prélevées depuis votre compte bancaire. Si les voitures récentes sont équipées de ce dispositif dès leur achat, sachez qu'il est également possible d'installer ce système sur les véhicules les plus anciens, moyennant finance cette fois-ci.


Un véritable gain de temps donc pour de nombreux Japonais, puisque la voiture reste le moyen de transport privilégié des autochtones avec plus 54 000 millions d'automobilistes en moyenne sur les routes de l'archipel depuis 2012, contre seulement 23 000 millions de passagers leur préférant les lignes ferroviaires, si l'on en croit les statistiques du ministère japonais des affaires étrangères et des communications.



(Photo : Le péage au Japon, simple et efficace)



La borne passée, l'autoroute commence, et avec elle le calvaire des passagers, j'ai nommé : mes questions !


Parce que oui, quand je parlais tout à l'heure de “long” voyage, je ne faisais pas référence au nombre de kilomètres nous séparant de la destination finale, j'évoquais plutôt cette curiosité qui m'anime et qui me fait poser autant de questions qu'un enfant de 7 ans sur l'autoroute A6 lors d'un départ en vacances.


Pour vous donner une idée de mon état, je pars du principe Durkheimien que tout est fait social. La manière de saluer une personne dans la rue, la façon que l'on a de faire ses courses, le pré-enregistrement des indications d'un GPS, tout ceci relève du monde social et diffère selon les cultures. Et, si c'est culturel, alors il y a matière à harceler étudier.


C'est donc ce jour-là, que je me suis découverte deux nouvelles passions : les aires de repos et les radars japonais (on a les passions qu'on a).



(Photo : Sur les routes du Tohoku)




Une heure de débat passionnant sur « l'origine de l’inexistence des “sculptures d'autoroute” au Japon » plus tard, l'appel de la nature se fait entendre et nous nous arrêtons sur une aire de service.


Un nombre conséquent de voitures parquées devant l'unique bâtiment de la station, des accros de la cigarette tout près des cendriers du petit espace en plein air qu'il leur est réservé, des enfants qui gambadent joyeusement sur les places bétonnées du parking, ce tableau rappellerait à s'y méprendre celui d'une aire d'autoroute française si les reines de la station service n'étaient pas absentes de la peinture : les pompes à essence !


En effet, leur présence n'est pas automatique sur ce genre d'aire de repos puisqu'au Japon, “aire de services”, “station essence” et “aire de stationnement” sont trois choses bien distinctes.


La première, dite « Service Area» (SA de son logo sur les panneaux indicatifs), comprend tout un ensemble de services destinés à la personne. On peut donc y trouver des toilettes, un petit magasin, ou encore un restaurant. Construites à un intervalle de 50 km, ces aires sont les plus prisées des automobilistes pour la qualité de leurs services, mais également pour la diversité de ces derniers. En effet, certaines offrent même à leurs clients la possibilité de profiter de onsen (sources chaudes) ou encore de mini-parcs d'attractions, des équipements nécessaires pour les compagnies d'autoroutes avares de se démarquer de la concurrence depuis la privatisation du réseau en 2005.


La seconde catégorie d'aires de repos, appelée « Gasorin Station », regroupe les services destinés au véhicule. Certes vous y trouverez une petite épicerie dans laquelle vous pourrez acheter de quoi vous sustenter, mais ces aires sont surtout destinées à l'entretien de l'auto et au plein d'essence. Représentées par un logo en forme de pompe sur les panneaux d'indications, les stations essences sont généralement intégrées aux aires de services, mais cela n'est pas systématique : mieux vaut donc avoir effectué son plein avant de partir à l'aventure, si vous voulez éviter les mauvaises surprises.


Enfin, les « Parking Area » (PA de leur logo), comprendre ici “aire de stationnement”, sont les aires de repos les plus abondantes des réseaux autoroutiers japonais, puisqu'on peut les rencontrer tous les 15 km parcourus. Bien moins populaires que les aires de services, elles ne proposent généralement que des toilettes et des places de stationnement, parfois un petit coin pique-nique si vous êtes chanceux. Si l'on devait leur trouver un équivalent français, se serait l'aire où vous vous arrêtez en plein milieu des bois en priant pour éviter que les commodités soient à la turque.



(Photo : Un parc d'attraction ? Non, une aire de service dans la préfecture d'Aichi (source: Trip advisor))




L'aire de service où je me suis arrêtée ne comportait ni onsen, ni parcs d'attractions. Un grand bâtiment multi-fonctions, un petit stand de brochettes devant ce dernier, et un coin fumeur en plein air, voilà l'ensemble des services proposés par cette petite aire de repos en direction d'Hiraizumi.


Je me dirige alors vers le centre d'activités, et passe l'une des deux portes d'entrée du bâtiment. En effet, muni de deux accès, le magasin comporte quatre espaces.


La première porte d'entrée débouche sur une supérette, où vous pourrez acheter quelques souvenirs ou produits locaux. A gauche de la caisse, un petit corridor mène à un restaurant très sommaire composé de quelques tables et d'un comptoir où vous êtes invité à passer commande après avoir choisi votre plat sur une immense carte murale en plastique. A l'autre bout du combini, une cloison automatique conduit au troisième espace du magasin, un long couloir jonché de distributeurs automatiques de boisson, qui débouche enfin sur les toilettes publiques et la deuxième porte d'accès du bâtiment.


Cette répartition m'a assez surprise. En France, hormis les toilettes qui sont isolées du reste des services proposés par l'aire d'autoroute, l'ensemble de ces derniers l'est généralement au sein d'un même espace. Plus encore, bien qu'il existe clairement quatre zones de services selon moi, une cloison automatique sépare le magasin en deux en créant une partie gauche, composée du restaurant et de la supérette, et une partie droite, regroupant les distributeurs et les toilettes publiques.



(Photo : On n’oublie jamais sa première fois!)




Vous commencez maintenant à me connaître : j'ai essayé d'analyser cela.


J'ai tout d'abord interprété la répartition des zones selon leurs fonctionnalités.


En France, c'est cette logique qui guide l'aménagement d'une aire de services. En effet, si les toilettes sont séparées de l'espace principal, c'est car elles n'entrent pas, selon moi, dans un rapport d'achat et de vente avec leurs utilisateurs.


Voyons ce que ce raisonnement appliqué à l'aire de services japonaise donnerait. A gauche, vous achetez de la nourriture, à droite… vous achetez des boissons et vous allez sur le trône. Aucun lien direct donc entre les distributeurs de boissons et les toilettes publiques, si ce n'est une vessie bien pleine, un paramètre beaucoup trop hasardeux pour en tenir compte dans notre analyse.


J'ai donc ensuite fait travailler mes neurones (pour une fois), et j'ai commencé à repenser mon interprétation en me concentrant sur les faits. Observe et tais-toi, c'est un peu le mot d'ordre en sciences sociales après tout.


Et c'est là, assise sur un banc, à côté d'un papy fumant comme un pompier, que j'ai eu LA révélation : au lieu de penser les espaces en termes de fonctions, ne serait-il pas plus intéressant de les considérer du point de vue de leur fonctionnement ? En effet, quel est le lien entre un restaurant et une supérette qui puisse les distinguer d'un distributeur automatique, que j'aurais personnellement compris dans le même espace “vente’‘ ? Réponse : le personnel ! Et oui, dans les deux premiers lieux, le client a besoin de quelqu'un pour l'encaisser, alors que dans le dernier, il peut le faire ’'par lui même’' !


Cette distinction entre ’'service à la personne” et “self-service” expliquerait aussi le regroupement des distributeurs et des toilettes : hormis si vous avez 5 ans ou si vous êtes ivre, vous n'avez pas besoin que l'on vous aide à tirer la chasse d'eau. Mon hypothèse serait donc valide, d'autant plus qu'elle est applicable à d'autres commerces japonais.


En effet, que ce soit à la banque ou à la poste, on peut remarquer que les distributeurs de billets par exemple forment un espace à part des autres services proposés dans ces lieux, services qui demandent la participation d'un tiers. De même, au combini, les distributeurs automatiques sont certes situés dans le même espace que la zone de vente, mais toujours à une distance respectable des caisses. 


Néanmoins, si je pense avoir mis le doigt sur quelque d'intéressant qui n’intéresse que moi, je n'ai toujours pas réussi à expliquer l'origine de cette distinction à ce jour. Le mystère reste donc entier !



(Photo : La boutique souvenirs qui m'a fait me poser mille et une questions)



Mais il y a plus choquant que cette énigme scientifique non résolue !


Je crois que je me souviendrais toujours de ma réaction à l'approche de mon premier radar japonais : j'étais encore naïve, pleine d'admiration pour ce pays où jeter un papier sur le sol était perçu comme un crime calomnieux, où ne pas trier ses déchets pouvait entraîner une amende de plusieurs milliers de yens, et où manger dans la rue vous faisait passer pour le pire des parias. Et puis, on a passé un radar en roulant 17 km/h au dessus de la vitesse autorisée sans se faire flasher.


Parce que oui, dans cette belle nation aux règles sociales si strictes, les radars, pourtant placés à intervalle tout aussi régulier que leurs homologues français, relèvent plus d'une forme d'art urbain que d'un instrument d'utilité public.


Si la vitesse est limitée à 100 sur l'autoroute, ces jolis joujoux ne flashent qu'à partir de 120 km/h, soit 20 km/h au dessus de la vitesse normale autorisée. Selon mes amis, il semblerait que cette largesse accordée aux automobilistes soit aussi appliquée en agglomération et sur les nationales, où la vitesse est limitée respectivement à 40 et 60km/h.


Je dois vous avouer que venant d'un pays comme le Japon où la pression sociale est forte, j'ai été plutôt surprise d'apprendre qu'un tel laxisme sur le code de la route en ce qui concerne les excès de vitesse puisse exister.



(Photo : Les radars japonais ou le laxisme de la sécurité routière nationale (excusez la mauvaise qualité de la photo))




Pourtant, ces propos surprenants ne sont rien comparés au rapport inquiétant (et illogique) de la police nationale conduit l'année dernière.


Avec 573 842 accidents enregistrés en 2014, dont 711 374 blessés plus ou moins graves, la police chargée du trafic routier concentre ses efforts sur deux soucis qui ronge à ce jour la sécurité routière japonaise selon elle : la conduite sous stupéfiants et la conduite sans permis !


Parce oui, pour l'année 2014, 25 746 personnes contrôlées ne possédaient encore pas le permis de conduire. Certes, ce n'est rien en comparaison des 113 000 champions qui se font pincés sur le sol français en 2015 pour la même raison, mais sachant que 2 052 719 automobilistes ont été pénalisés pour excès de vitesse au Japon (à partir de 20km/h au dessus de la vitesse maximale autorisée, ne l'oublions pas !), je trouve cela un peu déplacé que la maréchaussée nippone fasse des campagnes de préventions contre la prise de stupéfiants au volant et contre la conduite sans permis, et ne fasse aucune mention dans son rapport des excès de vitesse, représentant pourtant près de 28 % des infractions au code de la route enregistrées cette année-là.


« Among all traffic violations, DUI and unlicensed driving are the most serious issues. The law has been tightened against these violations in the recent years. The police have been placing strong efforts on apprehending not only the drivers but also those who aid and abet the drivers to commit such violations ».

En effet, les priorités des autorités japonaises ne sont pas forcément là où on les attend.


Si la conduite sous influence et la non détention du permis de conduire représentent respectivement 0,4 et 0,3 % des infractions enregistrées en 2014, le rapport prônant les efforts et les “grandes” actions de la prévention routière mentionne également deux autres plaies qu'il faut éradiquer coûte que coûte à base de programme de sensibilisation en milieu scolaire : la conduite en état d'ivresse et… le mauvais stationnement en agglomération, des infractions pourtant mineures puisqu'elles ne constituent respectivement que 0,1 % et 4,2 % des entorses au code de la route enregistrées il y a deux ans.


Notons que les mêmes priorités avaient été données à ces infractions en 2012 et 2013, et qu'aucun des rapports consultables sur le site de la police nationale à ce jour ne fait mentions des actions menées pour lutter contre les fous du volant.



(Photo : Quand stationner sur un passage piétons est plus gênant que de rouler comme Vin Diesel sur la chaussée (source : wasabi.com))






Conclusion 


Que ce soit pour l'aménagement de leurs aires de services, ou pour leurs radars qui ne flashent pas, les autoroutes japonaises m'ont permis d'apprendre beaucoup de choses sur la vie d'automobiliste au Japon… et sur moi-même ! En effet, ce petit périple autoroutier m'a fait prendre conscience que je me posais beaucoup trop de questions… enfin peut-être… j'ai encore besoin de réfléchir sur ce point-là.






Sources :


        * Articles


→ NIPPON, Les aires de repos au Japon. Nippon.com, 2015. [En ligne] à l'URL:http://www.nippon.com/fr/features/jg00002/.


→ VIGNERON, Daniel, Conduite sans permis: la France plus permissive que ses voisins. MyEurop.info, 2015. [En ligne] à l'URL: http://fr.myeurop.info/2015/09/01/conduite-sans-permis-la-france-plus-permissive-que-ses-voisins-14407.


       * Sites


→ Bureau des statistiques du Ministère japonais des affaires étrangères et des communications (Statistic bureau, Ministry of international affairs and communications):http://www.stat.go.jp/english/data/nenkan/back64/1431-12.htm.


→ Police nationale japonaise (National Police Agency) : http://www.npa.go.jp/.


→ Trip advisor : https://www.tripadvisor.fr/.


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