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Photo du rédacteurMiss Frenchy Japan

[Question-Con-Japon] Le Moomin café les raisons du succès à Tokyo






Le mois dernier, je suis allée manger au Moomin Café près du parc Korakuen. Bien que la nourriture y soit tout à fait correcte, c'est surtout le concept de cette petite brasserie qui me fait vous en parler aujourd'hui. Un concept qui a séduit de nombreuses Japonaises à Tokyo : déjeuner en compagnie de peluches géantes !


Pourquoi les Moomin Café sont-ils si populaires sur l'archipel ? J'ai mené ma petite enquête !







Les Moomins, un phénomène finlandais très prisé au Japon



Issus d'une série de livres illustrés finlandais crées par la suédophone Tove Jansson à la fin des années 1940, les Moomins (dits Mumintroll en suédois) sont de charmants hippopotames bipèdes, vivant dans une vallée imaginaire du nord de la Finlande.



(source : Yle.fi)




Héros de neuf tomes s'étalant des années 1940 aux années 1970, les quatre membres de la famille Moomin sont notamment célèbres pour leurs folles aventures qui mêlent réalisme et fantastique.


Un concept qui a alors su séduire petits et grands dans toute l'Europe, puisque la série a donné lieu à de nombreuses adaptations animées au cours des années 1960, ainsi qu'à un parc à thème près de la capitale finlandaise en 1993.



(source : novaturas.it)




Véritable institution dans les pays scandinaves, le phénomène Moomin a également su charmer le public japonais.


Les premiers animés (アニメ) apparaissent dès les années 1970, et une multitude de produits dérivés voient le jour au quatre coins de l'archipel, des vêtements à la papeterie, en passant par les cosmétiques ou les pâtisseries finlandaises.









Encore aujourd'hui, l'univers Moomin est très apprécié au Japon. À l'image de ses cafés à thème ouverts à Tokyo et à Fukuoka au début des années 2000, qui accueillent chaque midi de nombreuses citadines venues déjeuner en compagnie des personnages de la franchise.






Hypothèse 1 : Un café pour lutter contre la solitude ?



Présenté par de nombreux blogs internationaux comme un moyen de combler l’absence d'un partenaire de table chez les clients venus déjeuner seuls, le concept du Moomin Café serait à l'origine du succès de la brasserie au Japon.



La peluche géante simulerait alors la présence d'un compagnon de repas, et le sentiment de solitude dont souffriraient certains Japonais serait atténué par la présence du Moomin à leur côté.



D'un point de vue psycho-social, l'hypothèse se tient : il existe de nombreux cas où la présence d'un animal en peluche a des effets thérapeutiques reconnus, du doudou que l'enfant prend pour s'endormir, aux compagnons de tissu donnés aux retraités n'ayant aucune visite dans les maisons de retraite.


Dans une société où les mariages prennent l'eau, et où le temps de travail empiète dangereusement sur le temps libre, il est donc tout à fait légitime de penser que le Moomin café pourrait séduire une clientèle en mal d'affection.


C'est notre hypothèse numéro 1 (qu'on nommera hypothèse-blogueur), et c'est celle-ci que j'ai mise à l'épreuve dans un premier temps !









Si on suit cette hypothèse, la brasserie devrait donc être remplie de clients esseulés, interagissant avec les Moomins comme s'ils étaient de véritables personnes, ou du moins leur donnant un peu d'attention. Pourtant, dès les premières observations, on se rend compte que ce n'est pas forcément le cas…




Première limite de l'hypothèse : il y a peu de clients seuls !


Je suis allée deux fois dans le café : un jour de semaine sur l'heure de déjeuner, et un samedi après-midi. Le but était alors de croiser un maximum de clients différents pour diversifier l'échantillon de recherche, des femmes au foyer en semaine, aux salarymen et lycéens ayant un peu plus de temps libre le weekend.


Or, dans les deux cas, la majorité de la clientèle se composait de femmes venues manger en groupe (de 2 à 4 personnes en moyenne), et de mères avec leurs enfants. Les seuls hommes que j'ai croisés étaient en rendez-vous avec ce que je suppose être leurs petites-amies, et les personnes non-accompagnées étaient des trentenaires chargées de sacs des enseignes de vêtements environnantes.








Fait plus troublant encore, les Moomins n'accompagnent pas forcément les personnes seules !


En effet, selon l’hypothèse-blogueur, si les peluches étaient un moyen de lutter contre la solitude des clients, elles devraient être disposées en priorité auprès des personnes non-accompagnées. Or, ce n'est pas le cas, et le staff fait en sorte de présenter au moins un Moomin à chaque table.


Présenter est bel et bien le mot juste, puisqu'on assiste ici à une véritable mise en scène visant à personnifier au maximum les Moomins. On s'approche alors de vous en insinuant que quelqu'un veut s'asseoir à votre table, et on vous présente la peluche comme si elle était une véritable personne : « Voici Monsieur Moomin, enchanté » !


Si j'ai personnellement trouvé cela assez malaisant, la dernière fois que j'ai salué une peluche étant probablement lorsque j'avais 10 ans et que je jouais encore à la dînette, les clientes, elles, se prêtaient agréablement au jeu : on salue le Moomin en inclinant la tête comme on le ferait avec un véritable interlocuteur, et on va même dans certains cas jusqu'à répondre aux salutations.







Cette mise en scène aurait alors pu me faire confirmer l’hypothèse-blogueur si elle avait été suivie d'une interaction avec les peluches. On aurait ainsi pu en conclure que les personnages étaient considérés comme de véritables partenaires de table, et que la clientèle venait ici dans l'espoir de passer de bons moments avec les hippopotames. Or il n’en est rien !


On se contente de prendre une photo du Moomin une fois que ce dernier est installé, puis on vaque de nouveau à ses occupations : manger, discuter, ou rester collé à son téléphone dans le cas des personnes non-accompagnées (ce qui me fait encore plus dire que la présence du Moomin n'influe en rien sur les comportements).


Aucune connexion n'est donc crée avec les Moomins, et cela est d'autant plus vrai que la peluche ne reste pas longtemps à la table.


En effet, au bout de 15 minutes, on vous l'enlève pour la présenter à quelqu'un d'autre, et un quart d'heure plus tard, on vous ramène un autre compagnon. Le seul endroit où on change aussi souvent de partenaire de table, c'est dans une soirée speed-dating ! Comment voulez-vous combler un potentiel manque affectif si on enlève le support émotionnel au bout de quelques minutes ?!







Mais peut-être que je m’avance un peu…


En effet, si on voulait réellement connaître l'impact des Moomins sur le sentiment de solitude des clients, il faudrait aussi réaliser une étude clinique : faire passer une batterie de tests psychologiques à une centaine de personnes, les faire déjeuner dans le café, et refaire les mêmes tests pour voir si l'échantillon montre des signes de réaction émotionnelle suite à sa rencontre avec les peluches.


N'ayant ni le temps ni l'argent de faire une telle expérience (si vous voulez financer le projet, je peux toujours ouvrir un compte Tipee, ça semble très à la mode en ce moment), je me suis contentée d’interroger six Japonaises ayant déjeuné dans ce café au cours des deux dernières années, et dont le profil est assez proche de celui des clientes que j'ai pu observer : une mère de famille de quarante ans ; deux étudiantes âgées de 21 et 23 ans ; une employée de 24 ans ; et deux femmes au foyer dans leur trentaine. Ne faisons pas durer le suspens plus longtemps, leurs propos invalident complètement l’hypothèse-blogueur !




En effet, lorsqu'on leur demande si la présence des peluches à leurs côtés est nécessaire pour apprécier le café, la quasi-totalité des enquêtées a répondu par la négative. Seules les étudiantes ont affirmé être venues ici dans l'unique but de manger avec les peluches, mais là-encore, la raison n'est pas forcément le fait d'y trouver un compagnon de table original, mais simplement d'avoir un accessoire mignon à côté d'elles.


Ce culte de la mignonnerie se retrouve également dans d'autres réponses des interviewées, et notamment, lorsqu'on les interroge sur la raison principale de leur venue au café. Toutes évoquent le caractère mignon du cadre dont les peluches feraient parties intégrantes (à défaut d'être considérées comme de véritables compagnons de table) !


Vient ensuite la possibilité d'acheter des goodies exclusifs de la franchise, le café proposant également un petit stand de souvenirs à l'image des Moomins, puis celle de pouvoir manger des pâtisseries occidentales. En résumé, rien qui laisse apparaître que les peluches seraient plus qu'une simple décoration kawaii (可愛い かわいい).







Pourquoi le Moomin café est-il populaire au Japon ? Ce n'est donc pas forcément parce qu'il permet de combler la solitude de ses clients. A contrario, si on considère que ce petit café n'est en rien différent des autres cafés à thèmes remplis de peluches qu'on peut trouver à Tokyo, une deuxième hypothèse s'offre à nous : il surferait simplement sur l'engouement des Japonais pour les mascottes, un phénomène à la base d'un marketing de masse sur l'archipel.







Les mascottes au Japon : un phénomène économique devenu culturel



Hello Kitty, Pikachu, Doramon, Kumamon, tous ces personnages sont très populaires au Japon et donnent lieu à de nombreux produits dérivés : vêtements, peluches, nourritures, émissions de télé, ils sont omniprésents !








A l'origine de cet engouement massif pour les personnages mignons, une histoire bercée par la présence des mascottes dans le domaine du marketing.


Les premiers logos en forme d'animaux apparaissent dès l'ère Meiji (1868-1912) sur les paquets de cigarettes, et les années pré-Seconde Guerre Mondiale, voient s'étendre le phénomène au commerce de l'alcool et du textile, à l'image de la célèbre marque de whisky Nikka (ニッカ), dont les bouteilles s'ornent d'un petit ours, aujourd’hui emblème de l'enseigne.



(source : Rakuten)




Mais c'est véritablement à partir des années 1960 que les mascottes explosent au Japon grâce à la presse féminine !


Soucieux d'élargir leur cercle de lectrices, les éditions Shufu To Seikatsusha ( 主婦と生活社 しゅふとせいかつしゃ), leader du marché à l'époque, ont  l'idée de créer tout un tas de petits personnages mignons dans l'espoir de plaire à un public plus jeune. C’est notamment ce que rappelle Shujiro Murakawa, directeur marketing des éditions :


« La forme en cœur du logo a été dessiné pour attirer directement les jeunes filles et stimuler une réponse émotionnelle. Ça été un succès […] et les lectrices ont même demandé la création de bagues et de pendentifs à son effigie » (Comparative Culture)


Dès lors, les premiers produits dérivés inspirés de logos voient le jour au Japon. Et le marché est rapidement dominé dans les années 1970 par la marque Sanrio (サンリオ) qui crée l'une des mascottes japonaises les plus populaires de l'histoire : Hello Kitty.



(source : tripadvisor)




Si jusque dans les années 1990, les mascottes restent associées au domaine économique, elles deviennent un véritable phénomène social avec les Yuru-Kyara (ゆるキャラ), les mascottes régionales.


Crées dans le but de dynamiser le tourisme sur l'ensemble du territoire, les Yuru-Kyara ont pour mission d'attirer les visiteurs par leur aspect mignon et emblématique de leurs régions.


Bien plus qu'un produit marketing, ces mascottes sont alors porteuses de facteurs identitaires importants qui rassemblent les habitants d'une même zone géographique.


Depuis 2010, un concours annuel est même organisé par l'association des mascottes régionales, la Society of Organized Yuru-Kyara, afin d'élire la mascotte de l'année ! Si la compétition avait rassemblé 240 000 votes l'année de sa création, elle en comptabilisait plus de 15 millions en 2014. Un chiffre qui montre bien que l'engouement des Japonais pour les mascottes n'est pas près de s'éteindre !



(source : Japan Times)




Aujourd'hui, le Japon compte des milliers de mascottes pour tout et n'importe quoi, des produits alimentaires aux agences de voyages, en passant par les mascottes officielles des commissariats d'arrondissement ou des centres des impôts. Un engouement de masse qui laisse donc penser que le phénomène marketing est devenu un véritable phénomène culturel et social.



(source : Hiveminer)




Hypothèse 2 : un café issu d'un phénomène global de fétichisme ?



Pour en revenir à notre cher Moomin Café, je pense que son succès sur l'archipel viendrait en grande partie de ce phénomène culturel de fétichisme des mascottes.




En effet, le Moomin Café n'est pas le seul établissement du genre où les clients font la queue pour y venir déjeuner. Et la plupart des cafés à thème fonctionnent très bien au Japon.


La mascotte attirerait alors la clientèle par son caractère mignon qui lui conférerait un gage de sympathie et une image positive, qu'on finirait par associer inconsciemment à l'établissement lui-même.



C'est notamment ce qu'une étude de psychologie-sociale a montré en 2014. Réalisée par les universitaires Toshiyuki Yamashita et Sayako Ito, professeurs à l'université de Tokyo, l'étude a montré que les mascottes ayant des traits “mignons”, comme de grands yeux rieurs et une petite bouche, étaient les plus à même d’éveiller des sentiments de sympathie chez celui qui les regarde. Sentiments, qui pour une majorité du panel, s'appliquaient également à la marque représentée par le personnage.




Une hypothèse que mes six enquêtées tendraient à confirmer puisque la plupart d'entre elles font l'amalgame entre l'hippopotame et l'ensemble de la franchise qu'il représente, qualifiant alors aussi bien de « mignon » les Moomins en général que les peluches ou la brasserie elle-même.








Conclusion


Il est très difficile de déterminer avec exactitude l'origine de l'engouement des Japonais(es) pour les cafés à thème comme celui du Moomin Café. Quoi qu'il en soit, le phénomène finlandais a encore de beaux jours devant lui au Japon, puisque l'ouverture d'un parc d'attraction à l'image de la série illustrée est prévue sur l'archipel en 2019.






Sources


ITO Sayako, YAMASHITA Toshiyuki, « Applying Rough Set to Analyze Pschycological Effect of Mascot Character Design », International Journal of Affective Engineering, vol.13, n°3, 2014, p159-165. [En ligne] à l'URL: https://www.jstage.jst.go.jp/article/ijae/13/3/13_159/_pdf


KRIEGER Daniel, « The busy life of Japan’s super furry creatures », Japan Times, 2011. [En ligne] à l'URL: https://www.japantimes.co.jp/life/2011/03/03/lifestyle/the-busy-lives-of-japans-super-furry-creatures/#.WcoEp8hJbIV


KYODO (pseud.), « Popularity contest afoot between local mascotts », Japan Times, 2011. [En ligne] à l'URL: https://www.japantimes.co.jp/news/2011/11/23/national/popularity-contest-afoot-between-local-mascots/#.WcoEsMhJbIV


NIKO (pseud.), « The Essential Guide to Understanding Japan’s National Mascot Obsession », Fluentu, 2014. [En ligne] à l'URL:http://www.fluentu.com/blog/japanese/japanese-culture-mascots/


OCCHI J. Debra, « Consuming Kyara ‘Characters:’ Anthropomorphization and Marketing in Contemporary Japan », Comparative Culture, vol.15, 2010, p78-87. [En ligne] à l'URL :https://meilib.repo.nii.ac.jp/?action=pages_view_main&active_action=repository_view_main_item_detail&item_id=119&item_no=1&page_id=24&block_id=45


WIKIPEDIA (coll.), « Hello Kitty Wiki », Wikipedia, 2017. [En ligne] à l'URL: http://hellokitty.wikia.com/wiki/Hello_Kitty


WIKIPEDIA (coll.), « Moomins », Wikipedia, 2017. [En ligne] à l'URL:https://en.wikipedia.org/wiki/Moomin#Synopsis_and_characters


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