Il y a un gros stéréotype qui plane sur les Omawarisan, les policiers qui travaillent dans les koban (les postes de police de proximité) : ils ne feraient rien de leur journée !
Si on demande à un Japonais lambda en quoi consiste le travail de ces braves gens, on obtient en général les réponses suivantes : ils indiquent le chemin aux touristes égarés, ils indiquent le chemin aux personnes âgées égarées, ils indiquent le chemin aux enfants perdus, des fois il y en a bien un ou deux qui fait la circulation, et quand on passe devant le koban ils sont assis sur une chaise à regarder les mouches voler. Oh j'oubliais ! Ai-je mentionné le fait qu'ils indiquaient le chemin aux personnes égarées ?
Enfin ça, c'est ce qu'on dit ! Parce qu'à moins d'avoir regardé un reportage NHK sur le koban, personne ne sait réellement ce que ces hommes y traficotent. Et moi la première !
Comme beaucoup de personnes, je me suis toujours demandé ce que les Omawarisan faisaient au koban à part interpréter le rôle vivant de Google Maps.
C'est pourquoi j'ai voulu en savoir plus, et j'ai commencé à chercher des réponses sur le net francophone. Articles de presse, blogs, forums, après avoir épluché plusieurs sites, on retombe toujours sur les mêmes informations : ils aident les seniors, ils indiquent le chemin aux égarés des rues, ils font des rondes en voiture. D'accord, mais ensuite ?
Comment en sont-ils arrivés là ? Quelles études ont-ils fait ? Comment se passe une journée type au koban ? Travaillent-ils vraiment aussi peu qu'on le pense ? Et surtout: pourquoi personne ne s'est jamais vraiment renseigné sur ça avant ?!
Tant de questions qui restaient alors en suspens !
N'ayant trouvé aucune réponse concluante, j'ai donc décidé d'aller poser mes questions à la source, et je suis allée interviewer un ancien Omawarisan aujourd'hui officier de police au commissariat d'Ikebukuro (Tokyo). Qui sont vraiment les Omawarisan ? C'est notre question-con du mois !
Qu'est ce qu'un Koban ?
Avant de rentrer dans le vif du sujet, faisons un rapide point sur le koban.
Petit poste situé au carrefour des rues les plus fréquentées des quartiers, le koban est une annexe de police rattachée au commissariat local. Crée dans le but d’accroître la sécurité sur l'ensemble du territoire en instaurant une micro-sécurité à petite échelle, le koban établit un lien direct entre la police et les citoyens. Plus accessible et moins intimident que les hautes instances de police, il évite alors aux citoyens de se rendre au commissariat en cas de problèmes mineurs et fait gagner un temps précieux à chacune des parties.
Aujourd'hui indissociables du paysage urbain japonais, les premiers koban apparaissent au Japon en 1874 sous la volonté de la Police Métropolitaine de Tokyo. Appelés ''kobansho'' (交番所, issu des mots ''tachiban'' (立番, garder debout) et ''kotai'' (交替, rotation)), ils ne sont alors que de simples emplacements où le policier mobilisé doit rester debout pendant plusieurs heures afin de surveiller les environs. En 1881, ces angles de rue se dotent enfin de structures. On les renomme alors ''hashutsujo'' (派出所).
Avec le temps, le concept de postes de proximité s'exporte au-delà de Tokyo. Et à la fin des années 1880 on compte déjà 2 042 officiers pour 330 hashutsujo. En 1888, les postes de proximité deviennent obligatoires dans tout le pays.
Bien que le nom officiel de ces postes restent ''hashutsujo'', les Japonais lui préfèrent l'expression ''kobansho'' et continuent de surnommer les petits postes ''koban''. L'expression devenant de plus en plus populaire, elle devient le nom officiel des postes de proximité japonais en 1994. Aujourd'hui, on compterait plus de 12 000 koban à travers tout le Japon.
La structure d'un koban varie d'un lieu à l'autre et dépend en réalité de la fréquentation du quartier. Plus il y a de passages, plus il y a de risques que les problèmes s'amoncellent, et plus le koban sera grand. C'est pourquoi les koban situés près des gares principales des grosses villes seront généralement plus importants que ceux des petits quartiers résidentiels.
Cette logique est également valable pour le nombre de policiers dispatchés. Et un gros poste comme celui qui se trouve en face de la gare d'Ikebukuro comptera entre 5 à 6 Omawarisan en moyenne alors qu'un petit koban n'abritera pas plus de deux officiers.
Un koban standard compte trois pièces : un accueil avec un bureau pour recevoir les citoyens ; une arrière-salle avec des écrans de surveillance et des casiers pour ranger les armes et les dossiers ; et une salle de repos avec un réfrigérateur, un micro-onde et des banquettes-lits pour que les Omawarisan puissent se reposer pendant la journée.
Dans les koban plus importants, on a également une cellule de détention pour y placer les inculpés en attendant leur transfert au commissariat. Car oui, les policiers du koban n'ont pas le pouvoir d'emprisonner !
À noter enfin que chaque poste est muni d'un tableau d'affichage où sont inscrits les consignes de sécurité, les numéros d'urgence, ou encore les nom et visage des personnes recherchées. Devant les koban les plus récents, ce tableau est même remplacé par un écran qui diffuse ces informations sous forme de petits spots publicitaires tout au long de la journée. Un bon moyen de rappeler aux passants qu'il faut toujours rester vigilent, même au Japon !
Maintenant qu'on voit un peu plus de quoi on parle, entrons dans le cœur de la question-con !
Qui es-tu M. Omawarisan ?
Le sous-titre résume assez bien la ligne directrice de l'interview que m'a gentiment accordé M. Mori, officier de police au département des relations publiques (警務課, keimuka) au commissariat d'Ikebukuro. Avant d'occuper ce poste, M. Mori a travaillé deux ans au koban d'Higashi-Ikebukuro, un petit poste situé à quelques minutes à pied de la station tokyoïte du même nom.
Comme tous les officiers, M.Mori a d'abord dû passer l'examen d'entrée de l'école de police pour entrer dans les forces de l'ordre :
« Pour devenir policier, il faut passer un test d'admission pour l'école de police. Le test qu'on passe s'appelle « Saiyou Shiken » (さいよう試験 ) et il est divisé en deux niveaux. Le premier niveau peut se passer après le lycée, c'est un test de connaissances générales sur ce qu'on a appris jusque là. L'autre se passe après l'université et porte sur ce qu'on voit dans l'enseignement supérieur. Moi j'ai passé le test après la fac, donc j'ai passé le niveau 2, je l'ai réussi et j'ai pu entrer à l'école de police »
À l'école, les étudiants ont déjà un aperçu du quotidien au koban. Élément important de la formation du policier, le koban fait l'objet d'un stage d’observation d'une semaine pendant laquelle les étudiants mettent leur savoir à l'épreuve du terrain. Bien qu'ils n'ont pas le droit de travailler comme un vrai Omawarisan, cette expérience est un bon moyen d'approcher en douceur à la réalité du métier :
« Il n'y a pas vraiment de stage à faire après la sortie de l'école, mais pendant le cursus scolaire on est amené à aller au koban pour faire un stage d'observation. Comme on n'est pas encore policier, on ne peut pas travailler, ou alors on ne fait que des petites taches, et ça dure environ une semaine. Après on retourne à l'école. Il n'y a pas vraiment d'examen derrière. C'est simplement pour l'expérience personnelle, pour comparer avec ce qu'on voit en cours »
Une fois l'école de police terminée, c'est donc direction le koban que le jeune diplômé a dû faire ses premiers pas.
En effet, le koban est un passage obligé pour tous les agents de police qui commenceraient leur carrière au plus bas niveau de la hiérarchie :
« Je ne sais pas vraiment pour les autres pays [depuis quelques années le concept de koban s'est exporté dans d'autres pays d'Asie], mais au Japon, une fois qu'on est sorti de l'école de police et qu'on est officiellement policier, en général on va au koban. Déjà, au Japon, il y a ce qu'on appelle les ''Chiiki Keisatsukan'' (地域警察官, officiers de police locaux). En tant que policier local on est rattaché à un poste de police particulier, et c'est dans ce poste qu'on nous attribuera un koban où travailler »
Ces policiers dispatchés sont alors nommés ''Omawarisan'' (お巡りさん) et ne sont en rien différents des policiers ''de base'' qu'on nomme en Japonais ''Keisatsukan'' (警察官). Surnom affectueux donné aux policiers travaillant dans les koban, les Omawarisan désignent en réalité les ''Chiiki Keisatsukan'' qui opèrent des rondes, le mot ''Omawarisan'' étant lui-même dérivé du mot ''meguru'' (巡る) qui signifie ''faire des tours'' :
« Les policiers qui travaillent au koban, on les appelle officiellement ''Chiiki Keisatsukan'', mais on les surnomme ''Omawarisan''. Concrètement ''Omawarisan'' ce n'est pas un grade, mais juste une appellation qui désigne les policiers qui travaillent au koban. On dit aussi "Koban Kinmu" (les agents du koban). Il y a plein d'appellations en fait [sourire]. La plus courante, c'est ''Omawarisan'' parce qu'ils font des rondes et ne restent pas toujours au koban. Que ce soient en vélo ou en voiture, on fait des rondes, donc les gens nous appellent ''les hommes qui font des rondes'' »
Mais les Omawarisan ne sont pas les seuls agents de police à écoper d'un surnom. Et d'autres départements ont eux aussi droit à des appellations personnalisées de la part des citoyens. À l'image des officiers qui travaillent au département des affaires pénales qu'on surnomme affectueusement ''TK'' :
« Pour le commissariat, on parle de ''Keisatsukan'' mais c'est une manière générale de parler. Je pense que selon les pays c'est différent, mais au Japon, il y a plusieurs unités. En dehors des ''Chiiki Keisatsukan'', on a aussi le service ''Keijika'' par exemple (刑事課, vient du mot “pénal” (刑事上, keijijou)) qui s'occupe de tout ce qui est cambriolage, vol, affaire criminelle. Et eux on les surnomme ''TK''. Dans les manga ou dans les drama par exemple, on entend souvent dire ''TK'' »
Plus un surnom qu'un grade, l'expression ''Omawarisan'' s'applique donc à tous les agents du koban. Pourtant, tous les policiers qui y travaillent ne sont pas égaux. Et il existe plusieurs grades au sein du petit poste qui reprennent la hiérarchie instaurée par les forces de l'ordre :
« Dans les faits, il y a aussi des grades. Au début, on est ''Juunsa'' (巡 査 , agent de police), ensuite on est ''Juunsachou'' (巡 査 長 , agent de police senior), puis ''Juunsabuchou''(巡 査 部 長 , sergent), et ''Keibuhou'' (警 部 補 , inspecteur). Dans ce koban, on a un ''Juunsabuchou''. Moi par exemple je suis ''Juunsachou''. On peut voir le grade d'un policier sur les uniformes [montre sa plaque]. Moi j'ai deux barrettes sur mon badge, ça veut dire que je suis au deuxième rang de la hiérarchie. Les sergents on trois barrettes, les inspecteurs en ont quatre, et les agents de police n'en ont que une »
''Mais je pensais que seuls les jeunes diplômés travaillaient au koban ?'' Oui, mais pas que ! Les Omawarisan ont en réalité des profils très diverses : jeunes premiers, gradés, et même retraités, des tas de policiers foulent chaque jour le sol des postes de proximité :
« Personnellement, j'ai travaillé deux ans dans ce koban avant d'aller au commissariat d'Ikebukuro. Mais il y a aussi des retraités du commissariat qui y travaillent. Il y a vraiment des policiers qui veulent retourner au koban après la retraite [rires]. Il y a les jeunes et il y a les anciens. Parmi les jeunes recrues il y a celles qui sont directement sorties de l'école, et il y a aussi celles comme moi qui ont fait un autre job après la fac avant de tenter le concours. Il y a vraiment tous les profils en fait »
Élément important de la formation du policier, le koban est donc aujourd'hui un rite de passage pour les agents de police japonais. Et gradés comme débutants y travaillent en harmonie.
Mais au fait, qu'est qu'on y fait ?
Rondes et nuits blanches, le quotidien des policiers dispatchés
On va casser le mythe tout de suite : NON, les Omawarisan ne passent pas leur journée à indiquer la route aux personnes qui se perdent ! Enfin… pas seulement…
Une journée au koban est en réalité divisée en deux parties : les rondes et les permanences. Alors oui, les personnes qui s'égarent représentent la majeur partie des citoyens qui viennent demander de l'aide aux policiers, mais ceci n'est que la partie immergée de l'iceberg :
« En général, quand il n'y a pas de gros problème, les personnes qui viennent au koban sont surtout les gens qui se sont perdus [rires]. Je pense que ça, c'est dans tous les pays non ? [rires] Mais il y a aussi les personnes qui ont perdu des choses et celles qui en ont ramassé. Après c'est plus rare, mais ça arrive quand même, les personnes qui ont été victimes de vol à l'arraché. Il y a aussi les personnes qui viennent pour dire qu'un de leur voisin fait trop de bruit, et celles qui viennent simplement demander un conseil pour régler un conflit de voisinage. Ça, c'est un peu l'ensemble des personnes qui viennent au koban. Mais selon les quartiers c'est différent bien sur ! Ici, à Higashi-Ikebukuro c'est un petit koban, mais par exemple le gros koban devant la gare d'Ikebukuro, eux leur truc c'est les objets perdus. Il y a pleins de personnes qui perdent des choses ou qui en ramassent près de cette gare. C'est super connu ! »
Au-delà des porte-monnaies perdus, des affaires de voisinage et des personnes égarées, la partie ''invisible'' du travail des Omawarisan est en réalité bien plus complexe. Véritable lien entre la police et les citoyens, le rôle de l'Omawarisan est également préventif.
Non seulement il aide la population pour les petites choses du quotidien, mais son travail permet aussi de faciliter la tâche du commissariat pour les interventions futures. À l'image du rôle qu'il joue dans la prévention contre les arnaques téléphoniques et les cambriolages, ou encore contre les catastrophes naturelles :
« Qu'est-ce qu'on fait par exemple quand personne ne vient demander son chemin ? [grand sourire] On fait ce qu'il a de prévu sur le planning ! [bien que les urgences soient traitées en priorité] A telle heure on fait des rondes, à telle heure on va surveiller le trafic par exemple. Une autre chose qu'on fait aussi c'est le porte à porte. On va voir les gens chez eux pour demander s'il n'y a pas de problème ou pour savoir qui vit là. Par exemple on va demander le nom et le travail de la personne. Ça peut paraître étrange, mais en fait c'est très utile ! S'il y a un accident comme un tremblement de terre par exemple et que la maison s'écroule, imaginons que la personne soit blessée ou qu'elle décède, c'est important d'avoir des renseignements pour savoir qui prévenir. Mais comme ce sont des informations privées, des fois certaines personnes ne les donnent pas et c'est problématique parce qu'on ne sait pas qui vit avec eux, et s'il y a un problème on ne sait pas combien de personnes il faudra aider concrètement »
Figures de la police locale, les Omawarisan s'efforcent en réalité de suivre un planning bien précis qui leur permet de jouer sur tous les tableaux à la fois : sécurité routière, aide à la personne, actions préventives, intervention immédiate en cas de problème, leur système permet d'optimiser la sécurité du quartier au maximum. Son nom ? Le ''yonbusei'' (四部制), un système de rondes de quatre jours et deux nuits instauré en 1972 qui s'avère éreintant pour les policiers :
« L'emploi du temps varie selon les régions. Mais à Tokyo par exemple, on divise le cycle en quatre jours. Quand on a fait un cycle complet, on dit qu'on a fait un ''yonbusei''. Par exemple [montre le planning], ici on a un planning avec le nom de l'agent. On a la première garde, la deuxième, et le temps de repos. Dès qu'il a terminé une garde, l'agent rentre chez lui. Ici par exemple, pour la première garde, le policier commence à 8h30 pour finir sa journée à 17h15. Il a une petite pause vers 12h pour manger et se reposer. Ensuite il rentre chez lui. Il commence sa deuxième garde le lendemain à 15h30, comme c'est un peu tard, il la finit le surlendemain à 12h et après il est en repos jusqu'au cycle suivant. Durant la deuxième garde il a aussi une pause repas et une pause pour dormir. Ça c'est pour Tokyo, mais dans les autres régions, ça change. En général c'est une ronde sur trois jours [montre le deuxième planning]. Ici on voit que la journée de l'Omawarisan commence à 8h30 et finit le lendemain à 12h. Il passe donc toute la journée et la nuit au koban »
Si à Tokyo c'est le yonbusei qui s’applique, dans les autres régions, c'est le sanbusei. Plus court que le planning tokyoïte, le sanbusei est composé de trois jours de garde. Comme les rondes s’enchaînent les unes à la suite des autres, les Omawarisan qui suivent ce planning peuvent passer parfois jusqu'à trois nuits au koban !
« A Tokyo, sur une semaine, on reste deux nuits au koban. Dans les autres régions, c'est au minimum trois. Donc c'est plus fatiguant… Surtout que dans certaines régions, certains koban sont très occupés. Donc avec les urgences, les agents ne doivent pas bien dormir [rires] »
Le planning étant décidé par le commissariat pour l'année, certains policiers passent parfois plus de temps au koban qu'avec leur famille. Heureusement, une règle a été mise en place pour permettre aux Omawarisan de souffler un peu : les policiers ne peuvent être dispatchés qu'au sein de la région où ils habitent.
Avec ce système, non seulement les agents peuvent être plus réactifs en cas d'urgences, mais ils peuvent également rentrer chez eux une fois leur tour de garde terminé… dans les faits tout du moins.
En réalité, certaines régions étant très vastes comme Tokyo par exemple, il arrive que les policiers ne rentrent que très rarement chez eux. C'est notamment le cas des jeunes diplômés à qui on confie les emplois du temps les plus chargés :
« On doit habiter dans la région où on travaille. Après, on aimerait tous travailler près du lieu où on vit mais ce n'est pas forcément possible. Tous les Omawarisan d'Ikebukuro n'habitent pas à Ikebukuro. Des fois le loyer est trop cher, où les enfants si on en a vont dans une école qui est loin, certains vivent encore chez leurs parents, etc. Donc si on ne vit pas à Tokyo, on vit dans les villes du coin comme Saitama ou Kanagawa. Moi par exemple je vis à Saitama et je travaille au commissariat d'Ikebukuro. Mais en général, les personnes qui vivent loin, c'est celles qui viennent juste de sortir de l'école de police. Comme ils sont jeunes, pas mariés, on peut les faire bouger [rires] »
Heureusement, des dortoirs ont été mis à disposition de ces policiers malchanceux. Et chaque commissariat abrite au moins un étage pour les résidents temporaires :
« Ils [les jeunes recrues dispatchées loin de leur habitation] logent dans les dortoirs du commissariat. Selon les commissariats ça dépend, mais à celui d'Ikebukuro par exemple, du 10e au 12e étages se sont les dortoirs pour les jeunes recrues. Comme ça, s'il y a un gros problème, on peut les réveiller pour qu'ils aident [rires] »
Selon Mori-san, cet emploi du temps difficile à tenir serait l'une des choses les plus contraignantes du travail au koban :
« L'emploi du temps est compliqué. Quand on regarde ses mails le matin pour savoir quand est-ce qu'on pourra manger dans la journée, quand on doit tenir le yonbusei et qu'il y a des urgences… On travaille beaucoup et on est souvent occupé. Aussi, quand on ne rentre pas chez soi, avec la famille ça peut-être compliqué. Mais ça fait partie du métier de policer… donc je ne dirais pas que c'est vraiment un ''point faible'' de la profession, mais plus quelque chose de fatigant »
Le travail au koban n'est donc pas de tout repos ! Et notamment le soir venu dans les quartiers animés des grandes villes où les effluves de l'alcool ajoutent de nouveaux problèmes aux Omawarisan :
« Dans les endroits où il y a beaucoup de lieux pour boire comme Ikebukuro, Shinjuku ou Ueno, ça peut être dangereux. Par exemple, des fois, quand on boit, on n'est pas forcément joyeux et on peut devenir agressif et commencer à se battre. Il y a beaucoup de choses qui peuvent se passer. Et l'Omawarisan doit intervenir. On n'est jamais à l'abri d'un mauvais coup ! Moi ça ne m'est jamais arrivé, mais à d'autres oui »
Les altercations avec les personnes alcoolisées sont en réalité l'un des principaux dangers du métier d'Omawarisan avec les accidents de la circulation :
« Des fois on demande aux gens de s’arrêter avec la sirène et le micro, mais des fois on le fait en vélo ou à pied. Donc sur la chaussée ça peut être dangereux. On peut se faire renverser par exemple… »
Les Omawarisan ne s'occupent donc pas que des personnes égarées. Et leur travail est beaucoup plus fatiguant et compliqué qu'on ne le pense. C'est pourquoi, un mental d'acier et un sens du devoir prononcé sont nécessaires pour exercer ce métier à la perfection.
Un métier gratifiant
M. Mori est devenu policier après avoir travaillé plusieurs années dans une imprimerie de Tokyo. Installée dans un quartier sensible de la région, l'imprimerie était régulièrement saccagée par des jeunes du quartier. Et les policiers devaient souvent intervenir pour permettre à M.Mori et à ses collègues de travailler en paix. Des interventions récurrentes, qui ont suscité une vocation chez le futur policier :
« Avant de devenir policier, je travaillais dans l'imprimerie, au département des ventes. Mais là où je travaillais il y avait beaucoup de délinquance juvénile (少年犯罪, shounen hanzai) et quand il y avait des problèmes avec les enfants du quartier, les policiers venaient. J'ai beaucoup observé leur travail et j'ai pensé que c'était un travail intéressant. Ils arrêtent la délinquance, ils protègent le pays… du coup je me suis dit que ça serait bien de faire ce métier »
Animé par le sentiment de servir son pays, M.Mori a donc décidé de passer l'examen d'entrée de l'école de police :
« La police, on fait partie des forces d'autodéfense ( jieitai , 自衛隊). Comme Tokyo est la capitale du Japon, et qu'on protège Tokyo, on a le sentiment de protéger le pays entier. C'est gratifiant ! »
L'honneur de protéger le Japon, le dépassement de soi, et la multitude d'activités qu'on fait pour aider son prochain font partie des points forts du métier de policier selon M.Mori qui ne regrette absolument pas son changement de carrière :
« [à la question ''quels sont selon vous les points forts du métier de policier au Japon ?''] Pour moi personnellement, il y a aussi le fait que les taches soient diversifiées. Avant, je travaillais dans une entreprise et je faisais toujours la même chose. En tant que policier, on fait plein de choses différentes : on protège, on intervient quand il y a des problèmes, on surveille que tout se passe bien… Pour moi ça fait partie des points forts du métier »
Et ce, même lors de ses années au koban lorsqu'il ne savait pas toujours dans quoi il s'embarquait :
« Quand on travaille au koban, on n'a pas tous les moyens qu'on peut avoir au commissariat. Mais s'il y a un souci on doit y aller. Par exemple si deux personnes se battent dans la rue, même si on ne sait pas bien pourquoi ou qu'on ne sait pas bien ce qui se passe concrètement, on a le devoir d'intervenir. Après, si on ne peut pas le faire seul, on appelle les renforts du commissariat »
Bien que les Omawarisan aient moins de moyens que les policiers du commissariat pour intervenir en cas de problème délicat, ces hommes n'hésitent pas à mettre leur vie en danger pour aider leurs concitoyens. Une expérience professionnelle qu'ils semblent apprécier, puisque certains policiers à la retraite seraient même prêts à reprendre le képi… au koban bien-sûr !
Le koban, une expérience sympathique ?
Bien que le métier d'Omawarisan soit fatiguant, le koban a également de bons côtés. Et notamment pour les jeunes recrues affectées dans les quartiers animés des villes qui peuvent profiter de leur temps libre pour ''vivre leur jeunesse''.
C'est notamment ce que souligne M.Mori qui a désormais déménagé avec son épouse à Saitama, mais qui ne regrette en rien ses années au koban d'Higashi-Ikebukuro :
« Je ne payais pas de loyer, et les loyers à Ikebukuro sont chers, donc pour ça c'était bien [rires]. En plus, le coin était bien parce qu'il y avait plein de choses à faire quand on était en pause. Du coup, même si le travail était fatiguant, au niveau du privé, c'était… sympa [rires] »
L'ambiance qui règne dans ces petits postes de proximité étant également sympathique, nombreux sont les policiers à la retraite qui désirent reprendre du service.
C'est le cas du sergent du koban d'Higashi-Ikebukuro, fraîchement retraité du commissariat, qui non content de profiter de sa retraite à l'ombre de Tokyo Tower a préféré reprendre le koban à mi-temps. La raison ? Il aimait tout simplement l'ambiance du lieu :
« [à la question ''pourquoi certains retraités retournent-ils au koban ?'', M.Mori part chercher le sergent retraité] Il dit que c'est parce qu'il aimait beaucoup le koban »
Mais au-delà de l'ambiance chaleureuse du koban, c'est surtout la proximité avec les gens et le sentiment de se sentir utile au quotidien qui poussent de plus en plus de retraités à suivre les pas du sergent d'Higashi-Ikebukuro :
« [sergent retraité] Il y a beaucoup de choses à faire au koban. Les policiers sont très occupés. Par exemple avec le vieillissement de la population il y a de plus en plus de personnes âgées à aider. Avec les jeunes à vélo toujours sur leurs portables, il y a de plus en plus de problèmes comme ils ne font pas attention. Avant on faisait plus attention, non ? Après j'aime bien ce métier, c'est intéressant, mais c'est surtout pour me rendre utile que je continue. Même avec l'âge, je peux encore aider [rires] donc j'ai décidé de continuer. Même si je vieillis, s'il y a un problème j'y vais tout de suite. Je pense que c'est important de se rendre utile. De nos jours, il y a beaucoup de choses inquiétantes qui se passent dans le monde, non ? C'est triste ! Donc même si c'est juste un petit peu, je veux me rendre utile en travaillant »
Comme il y a encore beaucoup de travail à faire et que les jeunes recrues manquent un peu d’expérience, revenir au koban pour les aider est une solution évidente pour de plus en plus de policiers. C'est également une idée que partage Mori-san qui n'exclue pas l'idée de reprendre du service après la retraite :
« Pour le moment je viens juste de devenir policier. Mais j'ai appris beaucoup de choses au koban et quand on pense que la société va mal, qu'il faut former les kohai (les juniors) parce que quand on sort tout juste de l'école on ne sait pas vraiment encore ce qu'il faut faire, non ? Quand je pense aussi à toute la criminalité, je me dis pourquoi pas. Si on essaie de lutter contre la criminalité locale, peut-être que le Japon peut devenir un pays meilleur. Donc je me dis pourquoi pas, je pourrais aussi retravailler après la retraite»
En effet, avec la hausse de la criminalité et le manque de nouvelles recrues, les problèmes commencent à s’amonceler pour les figures de la police de proximité japonaise.
Selon les derniers chiffres de la Police Nationale, en 2016, les koban auraient reçu plus de 9 092 710 d'appels d'urgence (le 110 au Japon), soit 10 fois plus qu'il y a dix ans de cela. À l'échelle du pays, cela correspondrait à un appel toutes les 3,5 secondes !
Parmi les raisons qu'ont les citoyens d'appeler leur koban, arrivent en tête les problèmes liés à la circulation (33,5%), suivies des raisons personnelles (18,6%) et des demandes d'informations (14,4%) non le koban n'est pas un office du tourisme. Les activités criminelles ne représenteraient quant à elles que 4,6 % des appels.
Très sollicités, les Omawarisan fournissent également un travail colossal pendant leurs rondes. Et selon ce même rapport, ils auraient enregistré à eux seuls plus de 380 000 offenses au code pénal en un an, soit 83 % des offenses répertoriées par l'ensemble des services de police. Plus de 60 000 suspects auraient aussi été arrêtés par les policiers du koban cette année-là (dont la grosse majorité pour infractions au code de la route), représentant ainsi 66 % des arrestations nationales tous services confondus.
Débordés, les Omawarisan sont également en sous-effectif. Le travail des forces de l'ordre étant contraignant et potentiellement dangereux, de moins en moins de jeunes sont attirés par la possibilité d'y faire carrière.
C'est pourquoi de nombreux koban ont dû fermer leurs portes ces dix dernières années. Une décision regrettable qui ne pâlit malheureusement pas au manque d'effectif. Bien que les Omawarisan de ces postes aient été mutés dans des koban plus importants, 38 % des postes de proximité seraient aujourd'hui en manque de policiers selon le dernier rapport de la Police Nationale.
Un phénomène qui se répercute directement sur les citoyens qui trouvent de plus en plus de postes vides lorsqu'ils se déplacent pour demander l'aide des Omawarisan.
Ces derniers devant traiter les urgences en priorité, nombreux sont les policiers qui partent en intervention en laissant le poste de quartier sans âme qui vive pendant plusieurs heures. Et selon un sondage réalisé par la Police Nationale en 2016, seul 27,8 % des personnes interrogées avouait n'avoir jamais vu le koban de leur quartier vide. A contrario, ils n'étaient que 4,8 % à affirmer qu'il y avait toujours un agent au koban lorsqu'ils passaient devant.
Pour M.Mori et ses collègues, la retraite se passera donc sûrement au koban.
Conclusion
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, le métier d'Omawarisan n'est pas de tout repos. Urgences en tout genre, rondes à effectuer, et permanences à assurer, les policiers du koban sont occupés et ne sont pas que de simples Omawari-maps ! Le fait qu'ils interviennent au cœur du quotidien des citoyens en fait des maillons importants de la sécurité sur le sol japonais, et malgré les difficultés du métier, beaucoup de policiers apprécient leurs années au koban.
Animés par le devoir de servir leur pays, ces hommes sont un peu des ''Superman'' des temps modernes : tout le monde pense qu'ils ne servent à rien comme Clark Ken derrière son bureau, mais en réalité, ce sont de véritables héros !
P.S : Merci à M.Mori, aux Omawarisan du koban d'Higashi-Ikebukuro, et au commissariat d'Ikebukuro pour avoir accepté de répondre à mes questions.
Sources :
Rapports de la Police Nationale (NATIONAL POLICE AGENCY) → « Japanese Community Police and Police Box System » (2005): https://www.npa.go.jp/english/seisaku1/JapaneseCommunityPolice.pdf
→ « International Cooperation » (2016): https://www.npa.go.jp/hakusyo/h16/hakusho/h16/html/F1102010.html
→ Sondage sur la fréquentation des koban (2016): https://www.npa.go.jp/english/kokusai/pdf/Police_of_Japan_2017_8.pdf
AMES. L. WALTER, Police and Community in Japan. University of California Press, 1981, 229 p. [En ligne] à l'URL :
https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=CrfhpcHpI2IC&oi=fnd&pg=PR9&dq=koban+japan&ots=ECUfUxp6Mg&sig=XaZYsrGDYqlFoYIF_GrfIcgt5ww#v=onepage&q=koban%20japan&f=false
WALTER Guilhem, « Kôban (交番): le poste de police à la japonaise », kotoba, 2016. [En ligne] à l'URL : https://www.kotoba.fr/koban/
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