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Freelance France Japon: le réseau des indépendants francophones sur l’archipel



Être son propre patron mais travailler pour autrui, manager soi-même ses horaires tout en respectant les deadlines, le travail en freelance peut dérouter autant qu’il séduit. Notamment lorsqu’on veut débuter ou exporter son activité en solo à l’étranger, dans des pays comme le Japon ayant une forte culture salariale.

Si cela s’apparente pour certains à un challenge, voire à une peur viscérale depuis un exposé individuel complètement raté en classe de quatrième, pour d’autres c’est une réalité. Une réalité que les membres de Freelance France Japon (FFJ) prennent plaisir à partager chaque mois autour de tables rondes, pour aider celles et ceux qui le désirent à y voir plus clair dans leur(s) projet(s) et à construire ensemble un dialogue autour du freelancing.

Faisant moi-même partie de ce réseau depuis peu, j’ai décidé ce mois-ci de donner la parole à ces aventuriers de l’ombre. Comment des indépendants ont-ils eu l’idée saugrenue de se rassembler ? Quelle est la situation du freelance au Japon vue par les yeux de ses premiers acteurs ? Les membres de FFJ dont Lionel Dersot, son fondateur, ont bien voulu entamer la discussion.



(I’m going solo)

Vous avez dit freelance ?

Malgré que le freelance soit reconnu juridiquement dans de nombreux pays, ce mode d’activité reste souvent mal-connu dans la pratique quand il n’est pas totalement inconnu au bataillon ! Chacun y va alors de sa petite définition, et très vite un flou sémantique s’installe.

Pourtant le freelance, ce n’est pas si compliqué !

Se définissant à l’opposé du salariat, le travail en freelance est un travail de missions. Le freelancer répond ainsi à des missions ponctuelles commandées par des clients plus ou moins réguliers, et doit satisfaire les exigences de ces derniers dans un temps imparti. La clientèle est quant à elle constituée d’entreprises comme de particuliers, et la rémunération se fera au compte-gouttes après tout travail rendu.


(Quand tu acceptes une mission en freelance)

Bien que beaucoup de personnes se disent ‘’freelance’’ lorsqu’elles essaient tant bien que mal d’expliquer leur activité, le freelancing n’est donc PAS une profession à proprement parler. C’est avant tout un mode de travail à part entière, qui touche cela dit de nombreux domaines.

Pour ma part, c’est l’écriture, mais pour d’autres audacieux c’est le graphisme, la photographie, l’interprétariat ou encore l’import-export. Il y a donc autant d’indépendants qu’il y a de corps de métier, et chacun y trouve des avantages comme des inconvénients.

Pas de patron mais des contrats à dénicher, pas d’horaires fixes mais un planning à tenir et un salaire variable, les préoccupations des indépendants ne sont pas toujours les mêmes que celles des salariés. C’est pourquoi ces professionnels de l’ombre sont souvent mal-compris de leurs collègues d’entreprise, et qu’entamer le dialogue entre freelancers est plus que nécessaire.

Au Japon, c’est d’ailleurs sur cette réflexion que s’est crée FFJ...



(Florian Boisselet et Lionel Dersot nous parlent un peu de FFJ)

Rassembler des professionnels indépendants, un challenge !

Crée par Lionel Dersot, alors interprète français-japonais à Tokyo depuis plus de 35 ans, Freelance France Japon est né d’un manque cruel de communication entre indépendants :

« FFJ vient de la frustration, la frustration de ne pas pouvoir parler de sujets professionnels. »

Dans le monde de l’interprétariat, parler des enjeux du métier alors que tout le monde évolue en solo peut en effet être assez difficile. Entre le manque d’occasion et la peur d’échanger, il est parfois ardu d’amorcer un débat sur l’avenir de la profession. Et ce, même lorsque les institutions essaient d’ouvrir la voie :

« Avec l'aide de l’Ambassade de France, j'ai organisé une réunion il y a quelques années pour échanger entre interprètes, mais personne ne voulait prendre la parole. Ça a été un échec mais total ! »

Bien décidé à briser le silence, Lionel a donc l’idée d’élargir son réseau et de tendre la main à tous ceux qui comme lui aimeraient converser autour du monde professionnel quand personne ne tend l’oreille. Après tout, si les interprètes sont timides, peut-être que les autres professions ne le seront pas autant ?

« Je voulais créer un réseau plus communicatif. [..] Je me suis dit qu’il devait bien y avoir d’autres indépendants dans la même situation que moi, frustrés de ne pas pouvoir parler de leurs activités. »

Après quelques invitations lancées sur internet, les premières rencontres entre indépendants francophones prennent enfin place à Tokyo en 2008. C’est le début de l’aventure FFJ, le réseau qui « a pour objectif de fédérer les professionnels indépendants pratiquant dans la sphère francophone-japonaise, qu’ils soient établis au Japon ou en dehors » (Freelance France Japon, date inconnue).




(FFJ, le premier réseau francophone pour les indépendants travaillant avec le Japon (Sources : freelancefrancejapon.org))

Bien que le réseau soit aujourd’hui encore en activité, les débuts de FFJ n’ont pas été si simples ! Il faut dire aussi que rassembler des personnes n’ayant pas l’habitude de communiquer en groupe a de quoi en dérouter plus d’un :

« Ça n’a pas été simple car il y a beaucoup d’idées préconçues lorsqu’on travaille en indépendant, il y a beaucoup de méfiance. On travaille tout seul, et soudainement un autre indépendant nous contacte, c’est un peu bizarre quand même [rires]. »

Dans des milieux où il y a souvent plus de freelancers que de missions ponctuelles, la concurrence peut en effet être un frein à l’association qu’elle que soit sa forme :

« Il y a toujours cette idée qui est un frein [au réseautage], cette idée de concurrence. On pense toujours qu’on est en concurrence avec son voisin, alors qu’il y a des collaborations parfois qui peuvent apporter plus d’opportunités. »

Aider sans se faire mordre par celui à qui on a tendu la main, demander conseil sans venir jouer sur les plates-bandes de ses aînés, naviguer avec respect et humilité dans un collectif lorsqu’on a l’habitude de faire cavalier seul n’est pas forcément chose aisée pour tout le monde. Et c’est bien dommage, puisque FFJ offre de précieux conseils à quiconque est prêt à relever le défi :

« Aujourd’hui on donne des conseils aux personnes qui veulent démarrer leur activité [en freelance], mais pour cela, il faut une confiance réciproque […]. On organise des rencontres bimestrielles, souvent à Nishi-Ogikubo ou Yurakucho, on peut faire des rencontres individuelles, il y avait aussi des petits-déjeuners avant où on buvait un café pour discuter […] et parfois on organise des interventions à thème. L’année dernière, on avait eu une intervention sur la fiscalité lorsqu’on est indépendant par exemple. Et la prochaine réunion sera sur le thème du démarchage et des stratégies pour se vendre. »

A travers des rencontres bimestrielles ouvert à tous, membres comme simples curieux, des apéritifs et des colloques thématiques sous forme de retours d’expérience, Freelance France Japon est aujourd’hui un soutien professionnel de poids pour tous les indépendants francophones travaillant avec l’archipel. Mais c’est également une source d’idées intarissable et un soutien moral sans équivoque pour tous ses membres, notamment en temps de crise à l’heure où le COVID-19 a impacté de nombreux secteurs. Car c’est aussi ça la force de FFJ, des membres actifs aux parcours riches et divers, toujours prêts à s’entraider.



(A travers ses différentes activités, FFJ crée en pont entre les freelancers

(sources : freelancefrancejapon.org))

Un réseau professionnel hétéroclite

Joli bébé âgé de 12 ans, FFJ compte désormais une trentaine de membres de tout horizon. Qu’ils travaillent au Japon ou à l’étranger, qu’ils soient freelancers à temps plein ou aux balbutiements de leur carrière solo, le réseau s’organise autour de professionnels couvrant un large panel de disciplines :

« Les membres sont issus d’horizons divers : arts graphiques, audio-visuel, communication, conseil aux entreprises, droit, enseignement, gastronomie, photographie, services linguistiques, tourisme et bien d’autres. »

(Freelance France Japon, date inconnue)

On y distingue alors les membres à part entière, travaillant en freelance depuis plusieurs années, des membres associés, mixant travail salarié et activités indépendantes (#moimême) :

« Il n’y a pas que des indépendants à FFJ. Il y a aussi des personnes encore salariées et d’autres qui s’intéressent au freelance mais qui n’ont pas encore sauté le pas […] Une fois, on a même accueilli un chef d’entreprise ! Son rôle était de recruter des indépendants. Sur le coup je me suis demandé ce qu’il faisait là, mais après réflexion j’ai trouvé sa démarche plutôt intéressante. »

Tous ont néanmoins un point commun : ils ont été piqué un jour par la curiosité du freelancing. A l’image de Florian Boisset, membre depuis 2018 et spécialiste de l'événementiel autour du vin et de la gastronomie française au Japon :

« J’ai connu l’association après avoir assisté à une de leurs présentations, l’esprit de FFJ m’a plu et j’ai donc décidé de les rejoindre. »

Comme lui, d’autres membres ont succombé aux conditions du freelancing. Certains sont restés dans leur domaine de prédilection, comme Florian qui a travaillé 8 ans dans le secteur du vin en France avant de rejoindre l’archipel en 2015, quand d’autres naviguent aujourd’hui entre plusieurs eaux, rendant les profils de FFJ tous plus divers et variés selon Lionel Dersot :

« La plupart de nos membres ont plusieurs cordes à leur arc. […] Et c’est ça qui est intéressant ! C’est intéressant pour les entreprises, mais également pour nous, pour avoir des retours d’expérience ou des collaborations. »

En effet, la diversité des profils permet aux membres de FFJ de se compléter. Certains écrivent quand d’autres photographient l’instant, certains programment quand d’autres illustrent l’imaginaire, et tous peuvent aider un copain d’infortune quand la mission se révèle impossible.

Avoir toujours un collègue sur qui compter en cas de problème est donc un soulagement, surtout dans un milieu où l’entraide n’est pas forcément naturelle :

« J’ai eu un projet à mener sur Tokyo et Kyoto, mais je ne pouvais pas me déplacer à Kyoto pour raison personnelle. J’ai donc refilé le bébé si je puis dire à Jean-Christophe [Jean-Christophe Helary, traducteur-interprète et membre de FFJ] et on a pu finir la mission. Si FFJ n’avait pas été là, j’aurais perdu le contrat, c’est sûr. »

Cette diversité, c’est en réalité elle qui est motrice du réseau, lorsque les idées fusent et que les opinions se rencontrent pour créer de nouveaux projets indépendants au pays des kaisha.



(FFJ en deux mots… ou plus)

Le Freelance au Japon

Empire des salarymen et des heures supplémentaires, le Japon n’est pas forcément l’option la plus évidente pour entreprendre un travail en indépendance. Là où le costume noir est un gage de sérieux et de qualité, le freelancing apparaît en effet comme un OVNI tout droit venu des pays occidentaux. Un OVNI qui a pourtant toujours existé, puisque OUI, il y a bien des freelancers japonais au Japon. Et pour Florian Boisselet, il y en aurait même de plus en plus :

« Il y a toujours eu des personnes travaillant en freelance, mais le terme est assez récent. Cela reste très minoritaire mais j’ai le sentiment que le nombre de travailleurs freelances augmente et que freelancing devient de plus en plus visible. Bien sûr être shain reste prisé, mais de plus en plus de personnes se rendent compte que leur travail ne leur convient pas et se tournent vers le freelancing comme un moyen de pouvoir travailler à leur façon. De manière générale je pense que le freelancing était complètement inconnu du grand public mais que depuis récemment il y a une prise de conscience de ce qu’est ce mode de travail. »

Selon le dernier rapport du Ministère de la Santé, du Travail et des Affaires Sociales (2018), ils seraient aujourd’hui plus de 10 millions à exercer leur activité en freelance à temps plein ou à temps partiel (en parallèle d’une autre activité salariale), soit un sixième de la population active. Un joli score donc, pour tous ceux qu’on nomme les jieigyo kaisha (個人事業会社), les entreprises à employé unique.


(Au Japon, les freelancers sont vus comme entrepreneurs d’une entreprise à un seul employé (sources : mhlw.jp))

Bien qu'on utilise également le terme ''furiransu'' (フリランス) pour désigner les indépendants, l'expression est aujourd'hui plus un effet de mode qu'une réelle marque de reconnaissance au Japon. Certes, on prend conscience que ce mode de travail est présent sur l'archipel, mais l'utilisation assez floue qu'en font les médias peuvent laisser assez dubitatif sur la compréhension qu'ils en ont. C'est pourquoi on y préférera le terme plus japonais de ''jieigyo kaisha''.

Malgré tout, dénicher des missions n’est pas chose facile qu’on soit étranger ou japonais. La culture d’entreprise étant forte, les compagnies locales sont souvent frileuses à l’idée d’engager des indépendants. Et pour 1,141 freelancers interrogés par le Ministère de la Santé, du Travail et des Affaires Sociales en 2018, 39 % d’entre eux avouaient que l’une des principales difficultés du freelancing sur l’archipel était le manque de confiance et de crédit accordés aux jieigyo kaisha. C’est également un sentiment partagé par Lionel Dersot, pour qui la réception du paiement prend parfois des airs de Koh Lanta avec les services compta de ses clients :

« Les entreprises japonaises ne comprennent pas bien encore ce qu’est le freelancing, notamment au niveau de la comptabilité puisqu’ils veulent faire rentrer tout le monde dans des cases. »

Mal compris, le statut du freelancer peut donc en soi être un frein à la pérennité de son activité au Japon. C’est pourquoi, la majorité des indépendants se tournent vers une clientèle étrangère, plus à même de cerner les enjeux de ce mode professionnel :

« C’est très courant de ne pas avoir de client japonais, ou alors peu de contrats avec la culture locale. En général, ce sont des étrangers qui embauchent. [..] On est sur des marchés de niche, et quand on veut démarcher une entreprise locale, sauf si c’est un service ouvert aux étrangers, on tombe souvent sur un mur. »

En ce sens, les réseaux comme FFJ sont essentiels. Supports de choix pour les indépendants, ils aident également les entreprises à se familiariser avec le concept de freelancing en proposant une liste de membres qui met en avant leurs talents comme leur expérience professionnelle. Pour notre spécialiste viticole, c’est même un élément important du réseautage puisqu’il n’y a pas de freelancer sans donneur de missions :

« L’association doit être une vitrine pour le freelancing, centraliser les informations pour en faciliter le partage et mettre en relations les freelances pour s’assister mutuellement. Il faudrait également permettre à de potentiels clients cherchant des prestataires freelances de transmettre leurs offres de travail via FFJ pour les diffuser auprès des personnes compétentes et rendre service à tout le monde. »




(L’interface de FFJ facilite les démarches entre indépendants et clients potentiels)

Travailler en solo n’est donc pas chose impossible à réaliser sur l’archipel. Et bien que le réseautage puisse paraître antinomique à la notion d’indépendance, c’est bien par une dose de bons conseils, une pointe de soutien et un soupçon d’humilité, que la recette freelance prend au Japon.

Intéressé(e) par FFJ ? N’hésitez pas à nous rencontrer !

Toujours à l’afflux de nouvelles rencontres, Freelance France Japon vous invite à ses apéritifs. Que vous ayez démarré votre activité en freelance ou que vous projetez d’entamer une carrière solo, le réseau se fera un plaisir de répondre à toutes vos interrogations autour d’un verre ou deux. N’hésitez pas à nous contacter via les réseaux sociaux ou directement sur le site officiel de FFJ pour plus d’information.

UN GRAND MERCI A


Lionel Dersot, traducteur-interprète et organisateur de tours privés au Japon.


Florian Boisselet, importateur de vin et spécialiste de l'événementiel autour du vin et de la gastronomie française au Japon.

SOURCES

FREELANCE FRANCE JAPON

Site officiel de FFJ : https://freelancefrancejapon.org/

MINISTRY OF HEALTH, LABOR AND WELFARE (Coll.) « Furiransu Hakusho 2018 », mhlw.go.jp, 2018. [En ligne] à l’URL: https://www.mhlw.go.jp/file/05-Shingikai-12602000-Seisakutoukatsukan-Sanjikanshitsu_Roudouseisakutantou/0000189092_2.pdf



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