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Hino, le fief d'Hijikata : entre héritage culturel et business florissant




Cette semaine, j'ai décidé de vous parler d'Hino, la ville d'Hijikata Toshizô. Tout d'abord parce que j'aime beaucoup l'histoire japonaise, et deuxièmement car cette ville est un très bel exemple (peut-être même trop?) de mise en valeur touristique.





Hino est une petite ville près de Tokyo qui compte environ 180 000 habitants (pour le Japon ce n'est pas énorme). Généralement ce lieu n'est pas beaucoup visité des touristes occidentaux SAUF des personnes qui connaissent le Shinsengumi. Le quoi ? Le Shinsengumi ! Une milice établie en 1863 et principalement localisée à Kyoto, dont le but était de protéger les intérêts du Shogun (le détenteur du pouvoir) sous l'ère Edo (1603-1868) pendant le Bakumatsu, période de guerre civile qui opposa les forces shogunales à celles de l'Empereur dont les pouvoirs étaient jusqu'alors brimés. Les loyaux services de la milice prirent fin en 1868 avec la mort des principaux leaders et la restitution du pouvoir à l'Empereur qui marqua alors la fin du règne des Tokugawa et le début de l'ère Meiji (1868-1912). C'est une période extrêmement importante de l'histoire du Japon puisqu'elle constitue un tournant historique et sociologique avec l'ouverture du pays sur l'Occident et l'établissement des codes culturels qui fondent le Japon d'aujourd'hui.


Mais quel lien me direz-vous entre une bourgade du Kanto et le Shinsengumi ? Tout simplement le fait que ce petit patelin est le lieu de naissance d'Hijikata Toshizô (1835-1869), le vice-capitaine de la milice, et sans nul doute l'une des personnes les plus importantes de ce corps militaire.


Il était non seulement le second commandant, mais également la tête pensante du régiment : c'est à lui que l'on doit entre autre les stratégies réfléchies du Shinsengumi et son tristement célèbre règlement, dont la rigueur le classe parmi les règlements les plus stricts qu'un organisme social japonais ait eu sous Edo. Pourquoi ? Tout simplement parce chaque manquement aux règles était sanctionné par le seppuku, un rituel qui consiste à se suicider en s'ouvrant l'abdomen. Charmant !


Sous Edo, le seppuku était généralement réalisé sur les champs de bataille par les soldats en situation de défaite, préférant mourir de leurs propres mains que d'essuyer un échec et d'entacher leur honneur (comme quoi la conservation de la face à l'époque c'était vraiment quelque chose !). C'était également le cas pour les membres du Shinsengumi : excepté pour fautes graves telle que la corruption, le seppuku n'était appliqué qu'en temps de débâcle militaire. Il faut croire qu'il y avait finalement un petit cœur qui battait sous l'uniforme de Toshi…


Bien qu'Hijikata ait quitté rapidement Hino lorsqu'il en eut l'occasion dans sa jeunesse, la ville est aujourd'hui un lieu dédié à l'enfant du pays : non seulement le musée du Shinsengumi y a été crée dans les années 2000, mais des statues en l'honneur du militaire se trouvent un peu partout dans la ville. Le must ? Des peintures murales du bonhomme ont été réalisées sur certains immeubles et on peut trouver à chaque coin de rue des panneaux d'information à son effigie… version manga !


Je me suis paumée il y a deux ans avec toutes leurs conneries : j'ai suivi les p'tits Hijikata pensant que ça menait à des endroits qui lui étaient dédiés. Que nenni ! C'était des indications destinées aux enfants pour leur indiquer les lieux qui leur étaient réservés (jardins d'enfants, garderies, écoles, lycées, etc…). Et à l'époque, étant nulle en kanji (me suis-je améliorée depuis, je n'en suis pas bien certaine), il m'a donc fallu deux jardins publics et un collège pour enfin comprendre l'utilité de ces écriteaux !





(Photos : L’histoire se fait dans la rue (En haut: Hijikata (bleu) et Isami Kondo (rouge), les leaders du Shinsengumi))


Tout cet engouement autour du vice-capitaine pourrait alors rappeler celui d'un mouvement de patrimonialisation immatérielle. De patri-quoi ?! De patrimonialisation immatérielle Messieurs-dames !


La patrimonialisation consiste à sauvegarder  une source culturelle importante en voie de dispariation. Une patrimonialisation immatérielle s'apparente donc à la préservation d'un point culturel non matériel telle qu'une pratique, un savoir-faire, un art ou tout autre fait social qui serait constitutif d'une identité plus ou moins locale.


Ces mouvements de conservation se retrouvent généralement au quatre coins du globe dans de petits ensembles culturels tels que les villages, les régions rurales, ou encore les communautés tribales.


Héros régional, emblème des valeurs sociales d'une époque passée et véritable figure historique, Hijikata aurait donc tout pour être patrimonialisé. Le souci, c'est que Toshizô n'est pas un “fait social” mais une personne. Ajoutez à cela que les principaux lieux ou objets ayant un lien avec lui se trouvent à Kyoto ou dans la maison familiale gérée par l'une de ses descendantes à Hachioji, et vous en déduirez tout comme moi que les activités d'Hino ne rentrent pas dans le cadre d'une patrimonialisation, et que l'héritage culturel que le militaire a laissé  là-bas se limite à son simple nom. Bref, vous l'aurez compris : Hino, c'est l'exemple type de la ville qui fait son beurre sur le dos de l'enfant du pays.



(Photo : Statue d'Hijikata dans un temple local)


Et le business est florissant ! En 2004, le Shinsengumi tour, une longue balade organisée par la ville autour des différents sites ayant un lien avec la milice, a compté plus de 500 participants. Et chaque année, le festival du Shinsengumi accueille plus de 1500 festivaliers.


Véritable gagne-pain d'Hino, Hijikata a même son propre espace sur le site internet de l'office du tourisme de la ville, lui-même déjà fortement dédié à la milice shogunale. Avec près de deux événements par mois autour du Shinsengumi, on comprend que les recettes de la ville se portent bien.




(Photos : Le 19e festival du Shinsengumi (source : makoto.shinsenhino.com), et le site de l’office du tourisme d’Hino)


J'ai moi même visité le musée du Shinsengumi avec des amis (que j'avais plus ou moins traînés de force) il y a deux ans de cela.


On ne va pas se mentir : j'ai adoré ce musée à l'époque. A peine passées les portes automatiques du musée, qu'une énorme photo d'Hijikata surplombe le mur du vestibule et vous invite à avancer vers l'accueil près duquel trône fièrement le siège  sur lequel Toshizô s'est assis pour se faire tirer le portrait que vous avez dans l'entrée. Après avoir réalisé l'affaire du siècle (dont je vous reparle dans deux minutes), un gentil bonhomme, unique conservateur du lieu, vous guide à travers les vitrines qui remplissent les deux salles du musée, et vous explique tout en Japonais of course, l'origine des documents ou objets qui s'y trouvent : lettres manuscrites échangées entre les leaders du Shinsengumi, plans d'attaque réalisés par Hijikata lors de sa carrière, bâtons de kendo utilisés par les membres de la milice en entraînement, vêtements des officiers, etc…vous en prenez plein les yeux si vous vous intéressez à l'histoire de ce corps militaire. La cerise sur le gâteau : à la sortie de la dernière salle, un petit espace d'une dizaine de sièges, doté d'un écran, passe des documentaires retraçant l'histoire du régiment. Une manière ludique donc d'en apprendre plus sur la vie d'Hijikata. Autant vous dire qu'il y a deux ans, je suis ressortie émerveillée de cette visite.


Du sens critique et de la maturité plus tard, je peux dire aujourd’hui ce que mon “ancienne moi” n'apprécierait sûrement pas : ce musée est une grosse blague !


Dès le guichet, ça pue le commercial : la déco est composée de photos de films ou d'animés qui ont un jour mis le Shinsengumi à l'honneur, et on vous présente Hijikata comme si c'était une rock star et non un personnage historique. A l'intérieur du musée, vous avez même le droit de porter les bâtons de kendo de l'époque pour les comparer avec les bâtons actuels, beaucoup plus légers. Depuis quand on est autorisé à toucher les objets exposés ?! Ok, c'est distrayant, mais ça ne fait pas du tout professionnel. Savez-vous ce qui ne fait pas du tout professionnel non plus ? La tenue du “conservateur” du musée, j'ai nommé le T-shirt bleu de la boutique souvenir !


Heureusement, l'entrée ne coûte que 200 yens (1,50 euros environ)… SAUF si vous voulez profiter de LA promotion de l'établissement, une réduction qui restera à jamais gravée dans ma mémoire comme “LA promo la plus WTF jamais réalisée dans l'industrie culturelle” : un ticket à 100 yens, pour visiter…. la maison du beau-frère de Toshi qui se situe à l'autre bout de la ville. Pas la résidence d'Hijikata, non ! La maison de son beauf ! Bien évidemment, vous vous doutez que je ne suis pas passée à côté d'une occasion pareille : il ne fallait pas raté ça !




(Photos : le “musée” du Shinsengumi)


Après quelques minutes de bus, me voilà donc devant ce qui m’apparaît aujourd'hui comme l'arnaque touristique du siècle : la maison VIDE de la sœur aînée de Toshizô.


Ne vous trompez pas d'arrêt et vous tomberez nez à nez avec une jolie maison traditionnelle entourée de verdure. Après avoir marché le long du sentier de pierre qui mène à l'entrée du bâtiment, vous êtes accueillis par un vieux monsieur….qui va chercher sa petite fille parce qu'il ne parle pas anglais. Le plus drôle ? La petite fille non plus ! A l'époque, encore au lycée, la pauvre chérie qui venait sûrement d'être dérangée dans ses révisions, peinait à terminer ses phrases. Du coup, c'est le grand-père, qui s'est occupé de la visite…en Japonais.


Et quelle visite Mesdames Messieurs ! Je ne peux même pas vous décrire ce qu'il y avait à l'intérieur de cette maison. Non pas que ma mémoire me fasse défaut, mais simplement parce qu'il n'y avait absolument RIEN dans cette fichue maison.


Les présentations faites, on vous dit de vous déchausser pour que vous puissiez monter sur les tatami qui composent le salon de cette petite maison de quatre pièces séparées par des portes en bois coulissantes. S'ensuit alors pendant vingt minutes un tour du propriétaire digne de Stéphane Plaza, comme si vous étiez là pour acheter la baraque : «et là, le coeur de la maison : le bureau du beau-frère ! ». Évidemment, la visite est ponctuée de petites anecdotes essentielles à la culture G : « Et ici, c'est l'endroit où Okita Sôji (un gradé du Shinsengumi) a dormi quand il est tombé malade ». Super ! Il manquerait plus que tu nous indiques où Toshi s'asseyait chaque matin pour boire son thé et je pense qu'on pourra mourir en paix. Attendez ! Autant pour moi, je viens de me souvenir que c'est sur le côté gauche de la terrasse devant le jardin.


J'ai la critique facile, mais je dois vous avouer que j'étais comme une dingue à l'époque : j'ai pris des tas de photos, et j'étais émerveillée de découvrir où Hijikata séjournait lorsqu'il passait dans le coin. Pour vous donner une petite idée de mon état d'esprit, j'étais tellement passionnée par le Shinsengumi que deux ans auparavant j'avais baptisé mon chat Toshizô.





(Photos : La maison du beau-frère d'Hijikata, ou l'apologie du “vide”)


Avec de telles activités touristiques, je me suis demandé d'où Hino tirait son succès. La réponse résulte en fait d'une combinaison de facteurs sociologiques.


En tête de ces derniers, le retour aux valeurs “traditionnelles” prôné par les Japonais depuis plusieurs années.


Dans une société où le nationalisme culturel est encore très présent, les touristes Japonais qui voyagent dans le pays sont particulièrement nostalgiques d'un Japon pré-Meiji (1868-1912) dépourvu de l'influence occidentale. Bien que le Japon et l'Occident entretiennent des rapports commerciaux et diplomatiques étroits, le pays du soleil levant revendique une « spécificité culturelle » dans un contexte de crise économique où les relations avec les pays voisins sont devenues conflictuelles. Prôner une identité nationale forte, à travers un revivalisme des us et coutumes, serait alors un moyen d'apaiser les esprits et l'amertume des citoyens.


C'est notamment ce que j'ai pu observer à Mie-ken avec les ama. Perçues comme les garantes d'un art maritime traditionnel, les plongeuses artisanales semblent figées dans le temps, et séduisent alors les touristes nostalgiques de ce Japon féodal.


A Hino, la figure historique que représente Hijikata semble attirer de la même façon les visiteurs de tout l'archipel. Vice-capitaine du Shinsengumi, Hijikata Toshizô est l'emblème du soutien qui a pu être apporté au Shogun durant l’ère Edo, et à sa politique de classes et de fermeture des frontières à l'Occident. Brillant soldat, il incarne également les valeurs du code moral de l'époque : courage, respect, loyauté, détermination, autant de valeurs qui faisaient de vous une “bonne personne” sous Edo. Et qui font de vous aujourd'hui un bon salaryman !


En effet, Hijikata représente non seulement un vestige de ce Japon oublié, mais il constitue aussi un modèle pour de nombreux hommes dans tout le pays. Pour les femmes, il est également perçu comme un “idéal masculin” et prend souvent la tête des sondages lorsque que l'on demande aux Japonaises de citer un “gentilhomme’ de la ’‘belle époque”.


Très apprécié, le militaire a donc fait l'objet de nombreuses adaptations cinématographiques et télévisuelles.


Animés comme Hakuouki où il est dépeint comme un jeune homme séduisant, films prônant son courage et sa détermination, comme le célèbre Tabou de Takeshi Kitano, nombreux sont les exemples qui mettent en avant de manière toujours positive le vice-capitaine. Et au Japon, si c'est “vu à la TV”, c'est que c'est forcément “génial”. De ce fait, les retombées touristiques qui ont suivi ces œuvres ont été plutôt impressionnantes. Paru en 2004, le drama de NHK sur le Shinsengumi présentant les aventures de la milice a constitué l'élément déclencheur de cet engouement de masse pour le régiment. Diffusés chaque dimanche soir pendant 11 mois à une période de grande écoute, ce taiga(drama historique) a présenté aux téléspectateurs de magnifiques reconstitutions d'époque de villes comme Kyoto, Hakodate et bien évidemment Hino. Suite à cela, le musée du Shinsengumi a gagné 30 % de visiteurs en plus l'année qui a suivi le lancement du drama, et Hino est devenue du jour où lendemain un lieu touristique très prisé de la région (si vous voulez en savoir davantage sur l'impact touristique des taiga, je vous invite à lire l'excellent papier de l'universitaire britannique Philip Seaton (en anglais) qui se trouve dans la partie “sources” de ce billet).


Personnellement, je suis une victime des taiga. Bien, que j'ai découvert l'histoire du Japon à travers les livres, j'ai découvert le Shinsengumi et son vice-capitaine dans le film Taboude Kitano. Peu à peu, j'ai désiré en savoir plus sur ce corps militaire, et c'est comme cela que je me suis retrouvée quelques années plus tard à admirer les géraniums du jardin du beau-frère de Toshizô. Encore aujourd'hui, je regarde régulièrement des drama à la TV (comme la majorité des femmes du pays, pour ma défense (^_^)) et grâce à eux je découvre régulièrement de nouveaux endroits à visiter.




(Photos : Tabou et Hakuouki (sources : allocine.fr ; hakuouki.wikia.com))


Conclusion :


Je ne pense pas que je retournerai à Hino un jour : les activités touristiques sont plutôt bas-de-gamme, et bien que j'aime profondément l'histoire du Shinsengumi, je dois reconnaître avec le recul que culturellement parlant ce n'est pas aussi intéressant qu'à Kyoto où l'Histoire s'est réellement déroulée. Néanmoins, je vous conseille de regarder des films “historiques” ne serait-ce que pour appréhender cette période importante de l'histoire du Japon qui l'a fait basculer de “paradis perdu” au pays mondialisé qu'il est aujourd'hui. Je vous conseille entre autre Tabou de Kitano qui a été sélectionné à Cannes en 2000, ou encore Le dernier samourai, ce film américain qui a fait passer le Français du coin pour un Américain. Parce que oui, CE dernier samouraiétait Français ! Il s'appelait Jules Brunet et a servi sous Napoléon III. Voilà, c'est cadeau, vous pourrez toujours ressortir cela lundi à la machine à café pour impressionner Robert de la compta et lui parler au passage de ce merveilleux blog que vous lisez chaque semaine.





Sources


BOUGON, Yves, « Le Japon par lui-même »,Critique internationale, n° 13, 2001, p. 54-60.


MARTINEZ, Dolores P., « Tourism and the ama: the search for a real Japan », dans BEN-ARI,Eyal (dir.), al., Unwrapping Japan. Society and Culture in Anthropological Perspective. Honolulu, HI : University of Hawaii Press, (1990) 1992, p. 97-117.


MILLET, Lauriane, « “Esprit japonais et prémices du multiculturalisme” Le Japon au sein de l'Organisation de coopération intellectuelle dans l'entre-deux-guerres », Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin, n° 39, 2014, p. 79-90.


SEATON, Philip, « Taiga dramas and tourism: historical contents as sustainable tourist resources », Japan Forum, n°1, Vol. 27, 2015, p. 82-103. [En ligne] à l'URL : http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09555803.2014.962568.


SHINSENGUMI NO MAKOTO (ed), « Hijikata Toshizô », Shinsegumi no makoto.net, date inconnue.[En ligne] à l'URL : http://shinsengumi-no-makoto.net/hijikata_toshizo.htm.


Sites utiles


→ Le site de l'office du tourisme de la ville d'Hino : http://shinsenhino.com/


→ L'espace internet dédié à Hijikata : http://makoto.shinsenhino.com/


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