top of page

[Question-Con-Japon]L'amour 2.0 les sites de rencontres ont-ils un avenir au Japon


site de rencontre japonais



Qu'il soit tendre, passionné, ou destructeur, l'amour fait tourner les cœurs et les têtes depuis que le monde est monde. Et quand on parle de lui, il y a bien souvent deux camps : ceux qui ont été touchés par sa grâce… et les autres ! Ceux que Cupidon a malencontreusement placés sur sa liste de courses par mégarde. Non, Hiroshi ne devait pas se retrouver entre les carottes et le Sopalin !







Au Japon, ils seraient de plus en plus à être délaissés par l'ange tête en l'air. Selon les dernières estimations du Bureau National des Statistiques, près de 34 % des hommes entre 35 et 39 ans serait encore célibataire. Pour les 30-34 ans, ce chiffre avoisinerait les 47 %. Un record pour l'archipel qui n'a enregistré que 620 523 mariages en 2016.



Pourtant, ce n'est pas nouveau ! Et le Japon souffre en réalité de ce célibat ambiant depuis les années 1980. Un problème alarmant que le gouvernement prend désormais très au sérieux puisque la dénatalité qui en émane ajoutée au vieillissement accéléré de la population a fait perdre à l'archipel 1 million d'individus ces dix dernières années.



Manque de temps, désillusion, peur de ne pas trouver la bonne personne, nombreuses sont les raisons qui pousseraient les Japonais à ne pas se marier. Une porte grande ouverte, que les sites de rencontres commencent alors à saisir !


En effet, ces dernières années, la toile japonaise a vu apparaître tout un tas de sites de dating en ligne : Match Japan, Pairs, Tapple, toutes ces applications ont vu leur nombre d'utilisateurs grimper en flèche !



Pourtant leurs recettes sont bien maigres, et les Japonais resteraient encore frileux à passer par un intermédiaire 2.0 pour essayer de trouver l'amour. Un phénomène qui peut surprendre quand on sait que les agences matrimoniales sont encore populaires au Japon.



Avec des recettes annuelles estimées par le Ministère de l’Économie à plus de 60 milliards de yens (460 millions d'euros), ces spécialistes de l'amour issus de la tradition de l’Omiai, le mariage arrangé japonais, domineraient encore largement le marché de la rencontre amoureuse. Et loin devant les sites de rencontres dont les recettes s'élèvent difficilement à 17 millions de yens (130 000 euros) selon les derniers chiffres de l'agence de renseignements Statista.



Mais qu'est-ce qui ne va pas au pays de Cupidon ? Pourquoi les sites de rencontres peinent à trouver preneurs dans un pays hyper-connecté alors qu'en France, on peut matcher son boss et son voisin de pallier sur Tinder dans la même journée ? C'est notre question-con du mois !







Le Japon, pays de l’Omiai



On ne va pas y aller par quatre chemins, le mariage arrangé est au monde ce que le poulet est au KFC : essentiel ! Et bien qu'aujourd'hui, le mariage d'amour fasse office de norme dans la plupart des pays développés, ce n'était pas le cas il y a quelques siècles de cela.








C'est notamment vrai pour le Japon.


Là où en France le mariage d'amour a pris l'ascendant à la fin du XVIIIe siècle, les mariages arrangés par les familles avaient encore la part belle. Japan Times estimerait ainsi à 70 % le nombre de mariages arrangés parmi les unions japonaises jusqu'à la fin des années 1940.


Attention ! On parle bien ici de mariages arrangés et non de mariages forcés ! Les conjoints ont certes fait appel à des entremetteurs pour se rencontrer, mais ils ont eu le dernier mot quant à savoir s'ils allaient se passer la bague au doigt ou non.



Cette différence d'évolution est encore perceptible aujourd'hui. Et là où au Japon, 7,3 % des mariages enregistrés en 2015 étaient des mariages arrangés d'après la sociologue Fumie Kumagai, en France, la même année, seul 1,8 % des Français avait rencontré son conjoint par l'intermédiaire d'un tiers selon les données avancées par le chercheur britannique Roger Penn lors de son étude sur les mariages arrangés en Europe.







Ce décalage culturel serait alors à mettre sur le compte des injonctions sociales. Dans un article précédent, je vous avais parlé des petits biscuits, ces femmes passées 25 ans qu'on stigmatise parce qu'elles n'ont pas encore trouvé “le bon”. Il semblerait que la pression sociale soit encore plus forte du côté des hommes ! Passé 35 ans, Monsieur devrait songer à trouver chaussure à son pied ! Non seulement pour rendre Mamanheureusement, mais également pour se donner un petit coup de pouce professionnel, la bague au doigt étant un gage de sérieux qui aiderait grandement dans la course à la promotion.




C'est pourquoi, aujourd'hui, de nombreux jeunes de moins 30 ans seraient prêts à envisager l’Omiai s'ils ne trouvaient pas la perle rare.


C'est notamment ce que souligne une enquête réalisée en 2016 par le sociologue américain Shailin O'Connell :


« (les agences matrimoniales) sont vieux-jeu, mais je pense qu'elles sont utiles […] elles éliminent les mauvais candidats avant que vous les rencontiez, donc c'est plus simple de trouver quelqu'un rapidement » (Yoichi, 19 ans, par O'Connell)
« Comme vous les payez, ils (les agences) se démènent pour vous trouver quelqu'un de convenable. Même si vous ne pouvez pas trouver quelqu'un par vous-même, même si cela prend du temps » (un photographe de 27 ans, par O'Connell)




Bien que désuet, l’Omiai apparaît pour certains comme la solution ultime au célibat à durée indéterminée. Ce serait également une issue de secours au problème de timidité maladive et aux heures sup’ qui limitent la vie sociale :


« Même quand vous êtes occupé par votre travail, ils (les agences) vous trouvent une femme, donc vous n'avez pas de soucis à vous faire » (un salaryman de 24 ans, O'Connell)






Mais comment cela se passe concrètement ? Pour comprendre la pratique actuelle, remontons un peu dans le temps pour voir ce qu'était l’Omiai au siècle dernier.



Si aujourd'hui, les Japonais passent par des agences ayant pignon sur rue, autrefois c'était un membre de la famille qui endossait le rôle de l'entremetteur.


Appelés Nakôdo (仲人), les intermédiaires (un pour chaque famille) étaient chargés d'organiser la rencontre de A à Z. Du portrait des prétendants qu'on présente aux parents de l'enfant à marier, à la rencontre des futurs époux, en passant par la mise en contact des familles.


Mais prenons un exemple concret.


1960. Les parents de Hiroshi, toujours sur la liste de courses de Cupidon depuis bientôt 30 ans, décident de marier leur fils. Ils en parlent autour d'eux, et la tante Toshiko, qui a de nombreux contacts, se souvient que la nièce de son ancien camarade de classe n'est pas encore mariée à 25 ans. Elle propose donc ses services à son frère qui lui donne carte blanche pour trouver une bru et reprend contact avec son ancien camarade de classe qui accepte de jouer le rôle de Nakôdo de son côté. Ils vont donc s'échanger les portraits des enfants pour que les parents respectifs puissent donner leurs avis, et si avis positif il y a, ils vont présenter les deux familles pour que ces dernières (et les enfants bien sur) puissent faire connaissance. Si le courant passe entre les deux amoureux, c'est gagné. Sinon, tant pis, la tante Toshiko a plein d'autres camarades de classe dont les nièces sont encore à marier.


2018. Hiroshi commence à trouver le temps long. Entre son travail qu'il ne quitte pas avant 23h, sa vie sociale aussi passionnante que celle d'une mouche, et sa mère qui lui demande quand elle aura le plaisir de prendre dans ses bras son premier petit-enfant, notre célibataire de 37 ans décide de s'inscrire dans une agence matrimoniale.



Appelées « Nakôdo Rengokai »(仲人連合会), ces agences fonctionnent exactement comme les Nakôdo de l'époque. Ils glanent le plus d'informations possibles sur les prétendants en leur faisant remplir un profil détaillé comportant aussi bien des informations de bases comme leurs noms et prénoms, que des informations plus personnelles comme leurs salaires ou leurs antécédents familiaux ; ils présentent à leurs clients les profils enregistrés dans leur banque de données en prenant soin d'avoir sélectionné au préalable des profils compatibles ; et ils organisent les rencontres entre les amoureux, puis entre leurs familles. Le niveau d'informations glanées est donc égal à celui que pourrait obtenir un membre de la famille, et les présentations se font de la même manière que celles que pourrait organiser un Nakôdo plus familier.


La seule différence est qu'ici, les enfants se rencontrent avant les familles, bien que Maman accompagne souvent son fils lors de la sélection des profils. Une démarche qui peut faire sourire, mais qui s'explique par le fait qu'au Japon, le fils aîné aura généralement la charge de ses parents lorsque ces derniers seront vieux. Bien s'entendre avec sa belle-fille est donc primordiale. Après tout, c'est elle qui fera votre soupe miso quand vous aurez 80 ans, alors mieux vaut éviter les accidents !







Après plusieurs rendez-vous, on commence à parler mariage ! En général, les Japonais passant par un intermédiaire se marient au bout de quelques semaines ou mois après leur rencontre. Pourquoi si peu de temps après ? Car les tarifs des agences matrimoniales visent la lune !


Non seulement vous payez pour figurer dans leurs books, mais on vous facture également la sélection des profils, les rendez-vous organisés, et le prix des assurances “tous risques” qui comportent un suivi du couple au fil des années, des conseils matrimoniaux en cas de litige, et une aide à la procédure de divorce au cas où les conseils auraient été inutiles. Un joli package qui vous reviendrait en moyenne à 525 000 yens (4 017 euros). On est donc bien loin du thé et des petits gâteaux demandés en compensation par la tante Toshiko !



Malgré ce coût certain, les clients ne semblent pas déçus. Et bien qu'il y ait des ratés, les personnes qui choisissent l’Omiai ne regrettent généralement pas leur décision :


« Je le recommande toujours à mes amis. Peut-être que c'est un peu cher, mais c'est certain qu'ils repartiront avec une bonne épouse » (Akihiro, 31 ans, par O'Connell)
« Je savais que c'était ma seule chance de trouver un bon époux. Du coup, j'ai attendu d'avoir les fonds nécessaires pour tenter l'aventure […] C'était une bonne option pour une femme dans ma position [toujours occupée par son travail], et j'ai même été chanceuse de trouver un mari si rapidement » (Akane, 33 ans, par O'Connell)




Business florissant, les agences matrimoniales ont su se réapproprier les codes d'une tradition millénaire et semblent donc avoir encore de beaux jours devant elles sur le marché de la rencontre amoureuse. Mais qu'en est-il des sites de dating ?






Les sites de rencontres comme alternative au stress… de la rencontre ?!



À l'heure du numérique, de plus en plus de Japonais se tournent vers les sites de rencontres pour espérer trouver l'amour avec un grand A.



Selon une étude de marché réalisée par Statista, ils seraient 2 Millions à utiliser ces applications quotidiennement. Une petite clientèle (pour le Japon) qui devrait croître selon les estimations, et atteindre les 2,8 millions en 2022. À titre de comparaison, la France, dont la population est 1,8 fois plus petite que celle du Japon, compterait à elle seule 1,3 millions d'utilisateurs réguliers d'après un article du Parisien paru en 2016.



Bien que timides sur le marché, les sites de rencontres arrivent quand même à séduire ! Et parmi les raisons de leur succès, un atout indéniable face aux agences matrimoniales : la fin du stress de la première rencontre !



C'est notamment l'argument énoncé par les participants d'une étude réalisée en 2009 par les psychologues américains James Farrer et Jeff Gavin sur les modes d'utilisation des sites de rencontres au Japon.


Sur 85 participants des deux sexes âgés de 25 à 45 ans, plus des trois quarts d'entre eux avançaient l’absence d'interaction physique comme principal argument d'inscription. Une raison qui peut porter à confusion quand on sait que le but d'un site de rencontre est justement… de faire des rencontres.


Et pourtant ! Cette peur de faire face à l'autre est également à l'origine d'une autre pratique très répandue dans la recherche de l'amour au Japon : les Gôkon, les rendez-vous à plusieurs !



Organisés par un homme et une femme chargés d'inviter des membres du même sexe, les gôkon sont des soirées dating où un groupe de moins de six personnes, composé à parts égales d'hommes et de femmes, “fait connaissance”. Je mets bien ici l'expression entre guillemets car bien souvent, le gôkon est à l'initiative de l'organisateur qui a déjà des vues sur le second. Les amis ou collègues qu'on invite ne sont alors là en général que pour “briser la glace” (et pourquoi pas faire d'une pierre deux coups si ça permet à sa meilleure copine de trouver quelqu'un).



(source : allaboutjapan)




La protection que représente l'écran d'ordinateur lorsqu'on s'inscrit sur un site de rencontre n'a donc rien d’extraordinaire. Rassurante, elle permettrait de s'exprimer plus librement. Un premier pas en douceur qui pourrait déboucher par la suite sur une première rencontre en terrain plus connu… ou pas !


Avancée également dans l'étude de Farrer et Gavin comme l'un des bons points des sites de rencontres : la facilité à couper tout contact avec l'autre !







Si vous avez déjà été sur un site de rencontres, qu'elles soient amoureuses, amicales ou peu importe, vous savez qu'il y a parfois ce qu'on pourrait nommer en restant poli desboulets.


Insistant, pas très intéressant, et très irritant, le boulet arpente les forums et les sites de discussion comme une moule à la recherche d'un rocher. Une fois qu'il vous parle, il ne vous lâche plus !


Face à vous, deux solutions pour s'en débarrasser : lui dire gentiment de vous laisser tranquille, solution simple et efficace mais peu diplomatique, ou l'ignorer et attendre qu'il se lasse, solution diplomatique mais peu polie.


Si en France, on aurait tendance à employer la deuxième option, au Japon, c'est une troisième solution qu'on plébiscite : on prend sur soi et on espace les messages pour que le boulet comprenne de lui-même qu'il est indésiré. Certes le chemin est long et ardu (la capacité de compréhension du boulet jouant un rôle déterminant dans l'affaire), mais cela reste bien vu. C'est ce qu'on nomme le syndrome du “kikoku’‘ !



Grand désespoir des utilisateurs d'applications, le ’'kikoku” fait référence au petit “vu” qui apparaît sur les messageries instantanées et autre espaces de discussion privés des forums nippons. Un petit mot qui causerait beaucoup d'inquiétudes aux Japonais qui se sentiraient alors obligés de répondre aux messages pour faire bonne figure.



Selon un sondage réalisé en 2013 par la compagnie de software Just System Corporationsur 750 étudiants, 71,4 % avouait se sentir coupable de ne pas répondre aux messages lus :


« Beaucoup d'étudiants se sentent obligés de continuer la conversation car le “vu” qui s'affiche sur leur téléphone les met sous pression » (Just System Corporation)




Derrière le kikoku, se cache en réalité une question de face.


Selon Goffman, nous mettons tous en jeu une image de nous-même lorsqu'on entre en interaction avec une autre personne. Cette image de nous, c'est « la face » qu'il faut préserver à tout prix pour son amour-propre mais aussi et surtout pour garder une certaine valeur sociale au sein du groupe.


Or au Japon, faire bonne figure, c'est culturel !


Appelée “tatemae”, l'image publique qu'on dégage en société doit être irréprochable : aimable, souriant, calme, tolérant, on s'efforce de donner une image positive de soi à l’extrême. Cette personnalité construite s'oppose ainsi au “honne”, la personnalité privée qui correspondrait à ce que nous sommes réellement.


Préserver son “tatemae” est donc primordial ! Et pour cela il faut parfois faire des choses qu'on ne voudrait pas faire… comme répondre aux messages d'une personne qui nous ennuie.


Vous avez lu le message, la personne qui vous l'a envoyé le sait, et si vous ne voulez pas vous montrer impoli au risque de mettre en danger la bonne image qu'on a de vous, vous DEVEZ répondre, quitte à envoyer un smiley pour écourter l’interaction.


La fonction “lu” engendrait alors chez certains Japonais un “devoir” de réponse, comme une injonction sociale qui ne serait pas remplie si le message devait être laissé sans suite.



Or, sur les sites de rencontres, l'anonymat, la distance, et la forte possibilité de ne jamais rencontrer l'interlocuteur désinhibent fortement les peurs liées à l’interaction. Si vous ne voulez pas répondre à Naruto27 parce qu'il n'aime pas les raviolis au fromage (critère de sélection très important dans l'éventuelle poursuite d'une relation amoureuse), ne répondez pas ! Premièrement il ne connaît même pas votre prénom, deuxièmement votre réputation sera sauve puisqu'il ne côtoie aucune personne de votre cercle social, et troisièmement, il vous suffira de le bloquer pour qu'il ne voit plus votre profil et qu'il vous oublie aussi vite que vous êtes arrivé(e) sur son écran d'ordinateur. Des options qui, avouons-le, sont beaucoup plus difficiles à mettre en place lorsque vous avez la personne en face de vous ou lorsque vous essayez d'ignorer par message quelqu'un que vous avez déjà rencontré (dans ce cas précis, on s'arrangera alors pour ne JAMAIS lire le message. Pas “lu”, pas de “vu”).







Sauveurs des “tatemae” en perdition, les sites de rencontres auraient donc tout pour séduire une clientèle japonaise dépassée par les injonctions sociales. Alors pourquoi si peu de personnes semblent intéressées ?






L'amour 2.0, un projet tué dans l’œuf ?



Contrairement aux USA, leader mondial de la rencontre amoureuse en ligne avec un marché à 590 millions de dollars (495 millions d'euros) selon Statista, le Japon reste très méfiant envers les sites de dating.


À l'origine de cette inquiétude, l'histoire du web japonais qui ne facilite pas l'implantation des sites de rencontres sur l'archipel.



Apparus dans les années 1990, les premiers sites de rencontres japonais ont marqué les esprits. Novateurs dans leur approche moderne de la rencontre, ils auraient alors pu conquérir le marché matrimonial en rien de temps… s'ils ne s'étaient pas embourbés dans les scandales. Le plus marquant d'entre eux ? L'affaire Sakura !



Engagées à mi-temps par un gérant de sites de rencontres, les Sakura étaient des employées payées pour envoyer des messages aux utilisateurs afin que ces derniers renouvellent leurs abonnements sur les sites.


Semblant très intéressées par les jeunes hommes en question, les Sakura poursuivaient ainsi les conversations pendant plusieurs semaines en refusant toute rencontre IRL pour “ne pas presser les choses”. Une fois l'abonnement renouvelé dans l'espoir de continuer l'échange avec la belle demoiselle, toute promesse de dîner aux chandelles s'évanouissait ! Comme les pétales de cerisiers à la fin du printemps, les Sakuradisparaissaient dans la nature et laissaient ces pauvres messieurs sur leur faim !


Arrêté à la fin des années 1990, l'homme d'affaires derrière cette histoire aurait escroqué comme cela 2,7 millions de personnes. Soit sous 10 ans, une arnaque à plus de 7 milliards de yens (54 millions d'euros) ! Un scandale repris en masse par la presse de l'époque qui aurait rebuté plus d'un Japonais à s'inscrire sur ce genre de sites.








Déjà mal partis, les sites de rencontres ont également souffert quelques années plus tard du stigmate du deai-kei (出会い系).


A mi-chemin entre la rencontre libertine assumée et la prostitution dissimulée, le deai-keidésigne tout un ensemble de pratiques qui engagent petites annonces et promesses sexuelles (l'argent ne rentrant pas toujours en jeu dans la transaction).


Cafés à “massages”, clubs privés, agences d’escort, le deai-kei peut prendre bien des formes. Et notamment sur internet où les sites de rencontres ont été victimes d'une forme particulière de deai-kei : le baishun (売春).



Littéralement « vente de printemps », le baishun fait référence à la pratique du sugar daddy où des jeunes filles proposent leurs “services” aux plus offrants sur une durée de plusieurs mois en l'échange d'argent et de cadeaux. Cette mauvaise pub a réellement nui aux sites de rencontres qui font encore aujourd'hui la chasse aux faux profils. Un problème que souligne notamment Farrer et Gavin dans leur recherche :


« La pratique du deai-kei a été associée à la prostitution et aux agressions sexuelles au Japon. La mauvaise réputation du deai-kei a été décrite par les managers de Match.com Japan [un site de rencontres japonais] comme un problème pour l'ensemble des services de rencontres en ligne au Japon »(Farrer et Gavin)





Le poids du deai-kei se retrouve également dans les chiffres avancés par Statista.


En effet, bien que les sites de rencontres soient avant tout faits pour permettre à leurs utilisateurs de “trouver l'amour”, on constate que les 25-40 ans (les personnes ayant le plus de chance de se marier pour la première fois) ne représentent que 30 % des utilisateurs de ce genre de sites. A contrario, les 55-64 ans sont les plus présents sur ces applications puisqu'ils représentent 28 % de leur clientèle, suivis de près par les 45-54 ans avec 27 %.








Alors comment lutter contre tous ces stigmates ?


C'est la question qu'a posé le journaliste américain Taylor Beck à Takeru Kawashita, manager en chef du site de rencontres Pairs.


Pour ce dernier, les sites de dating japonais qui se démarquent sur le marché sont ceux qui inspireraient le plus confiance aux internautes. Abonnements payants, pièce d'identité requise à l'inscription, et questions longues pour compléter son profil, on fait désormais la chasse aux usurpations d'identité tout en essayant d'attirer les personnes recherchant réellement une relation sérieuse.


Exit Tinder ou Ok Cupid ! Ces applications sont certes très connues au Japon, mais elles ne seraient pas reconnues pour leur sérieux, à la différence des sites de rencontres made in Japan jugés plus efficaces pour trouver l'amour.


Parmi les sites les plus prisés des Japonais, on retrouverait ainsi Pairs, My Qpit ou encoreTapple, si on en croit les classements effectués ces dernières années par les web-magazines The Bridge (japonais) et Savvy Tokyo (américain). Des sites tout en japonais, qui seraient crées par des Japonais pour un public lui aussi bien local.


C'est également l'idée soutenue par Kawashita :


«  Si vous regardez les services proposés par les États-Unis, tout ce qu'ils font c'est localiser des langues, mais évidemment, la culture japonaise est différente de cela » (Beck)




Pour ce dernier, les sites américains ne seraient pas adaptés au marché japonais. Pas assez précis, ils laissent aux utilisateurs le soin de chercher par eux-mêmes l'aiguille qui leur correspondra dans la botte de foin. Autant dire une sinécure !


A contrario, des sites comme Pairs ou Tapple tirent leur épingle du jeu avec un système qui parle aux Japonais : la sélection sur profils !


De votre animal préféré à la manière dont vous prenez votre café, en passant par ce que vous feriez lors d'un premier rendez-vous, des dizaines de questions vous sont posées pour que vous n'ayez à matcher que des personnes qui correspondent à votre profil. Cela ne vous rappelle rien ?… Mais si ! L’Omiai !



(source : Tokyodaiting)




À l'image d'un entremetteur numérique, les sites de rencontres japonais facilitent la vie de leurs clients en triant par algorithme les profils qui pourraient les intéresser.


Et le concept va même plus loin puisque certaines questions sont très similaires à celles qu'on peut entendre lors d'un rendez-vous en agence matrimoniale : Combien gagnez-vous pas mois ?, Quels sont vos jours de congés ?, Quel est votre groupe sanguin ?, des questions qui pourraient paraître surprenantes pour les utilisateurs de Meetic, mais qui sont complètement banales dans ce cadre-là.



En s'inspirant directement de l’Omiai, les sites de dating japonais auraient peut-être trouvé le bon filon pour s'imposer sur le marché matrimonial.



En effet, bien que les agences restent populaires, il semblerait que leurs services ne soient plébiscités qu'en dernier recours. C'est notamment ce qui ressort de l'étude réalisée par O'Connell.


Sur 107 personnes interrogées, 41,28 % d'entre elles avouaient qu'elles ne penseraient à l’Omiai que si elles ne trouvaient absolument personne par des voies plus '“classiques”’. Pour les autres, le mariage arrangé est plutôt honteux :


« Seules les personnes désespérées et malheureuses utilisent ces agences… c'est comme payer pour une femme. En tant qu'homme, je dois m'élever économiquement, essuyer des échecs, et montrer que je peux être un bon mari et un bon père avant de rencontrer une femme ! » (Shundai, 39 ans, par O'Connell)




Les sites de rencontres laissant en apparence plus de “liberté” dans le choix des personnes à rencontrer, pourraient alors séduire les détracteurs de l’Omiai.


Moins chers, ils pourraient également plaire à une clientèle plus modeste. Avec une inscription mensuelle aux alentours de 2 000 yens  (15 euros), on est bien loin des tarifs des agences matrimoniales !


Alors, finalement, sites de rencontres ou Omiai ?





Extrapolons !



Une fois n'est pas coutume, je n'ai pas vraiment de réponse à apporter à la question-con. Pour la peine, je vais vous détailler un peu mes conclusions.



Tout d'abord, laissons le temps au temps ! L’Omiai est une tradition millénaire qui ne s'efface pas comme ça. Toujours d'actualité, elle a le monopole du marché japonais depuis la nuit des temps. Et son poids est d'autant plus lourd aujourd'hui avec les politiques natalistes du gouvernement qui espère contrer la dénatalité en renforçant les injonctions pro-mariages.



D'un côté vous avez donc les agences matrimoniales, toujours cotées, bonne presse, bons retours, et de l'autre, vous avez les sites de rencontres, image ternie, et trop “jeunes” pour bénéficier de retours sur le long terme (positifs comme négatifs).



Personnellement, je pense que ces sites ont un avenir au Japon. Non seulement ils sont moins chers que les agences matrimoniales et ont donc de quoi séduire une clientèle plus large, mais ils reprennent également les mêmes techniques que celles utilisées par les Nakôdo depuis des siècles.


Au lieu de voir ce service comme un compétiteur direct des agences matrimoniales, ne pourrions-nous donc pas l'envisager comme une continuité logique de ces dernières ? Un service d’Omiai moderne effectué par un Nakôdo en algorithme ?





Conclusion


Chaque pot finit par trouver son couvercle. Le moyen par lequel il le trouve… ce n'est qu'un détail !







Sources :


Articles et ouvrages


BECK Tarylor, « Can Dating Apps Solve Japan Sex’s Crisis », Fast Compagny, 2014. [En ligne] à l'URL: https://www.fastcompany.com/3035612/sex-apps-and-stigmas-online-dating-adventures-in-japan


FARRER James, GAVIN Jeff, « Online dating in Japan; A test of social information Processing Theory », Cyber Psychology and Behaviour, vol.12, 2009.[En ligne] à l'URL:https://pdfs.semanticscholar.org/2eaa/e95cab9506e4f5cb0c33110aadf6fae2e746.pdf


HALL John, «Dating site had 2.7 million members… and only one of them was a woman: Bosses behind online scam are arrested in Japan »,Dailymail, 2015. [En ligne] à l'URL:http://www.dailymail.co.uk/news/article-3116784/Dating-site-2-7-million-members-one-woman-Bosses-online-scam-arrested-Japan.html


ITO Masami, « Matchmakers in wings as singles rise », Japan Times, 2011. [En ligne] à l'URL:https://www.japantimes.co.jp/news/2011/11/01/reference/matchmakers-in-wings-as-singles-rise/#.WufH5YhubIU


JAPAN INFO (coll.), « Omiai: The Culture of Arranged Marriage in Japan », Japan Info, 2015. [En ligne] à l'URL: http://jpninfo.com/36254


LE PARISIEN (coll.), « Plus d'un Français sur cinq a déjà testé un site ou une applciation de rencontre », Le Parisien, 2016. [En ligne] à l'URL: http://www.leparisien.fr/high-tech/plus-d-un-francais-sur-cinq-a-deja-teste-un-site-ou-une-applciation-de-rencontre-04-02-2016-5517723.php


MAY Jennifer, « Matchmaking in Japan », Japan Visitor, 2016. [En ligne] à l'URL:https://www.japanvisitor.com/japanese-culture/match-making

NIPPON.COM (coll.), « Gôkon: le groupe dating à la japonaise », nippon.com, 2015. [En ligne] à l'URL: https://www.nippon.com/fr/features/jg00038/


O'CONNELL Shailin, «Analysis of Matchmaking Practices and Shifting Marriage Attitudes in Osaka, Japan », Biehl International Research Fellowship, 2016. [En ligne] à l'URL:  http://careers.sewanee.edu/media/careers/OConnellShailin-Biehlreport2016.pdf



POLLY (pseud.), « LINE App Causes SNS Stress, Say Japanese University Students », Japan Crush, 2013. [En ligne] à l'URL: https://www.japancrush.com//2013/stories/line-app-causes-sns-stress-say-japanese-university-students.html


Sites



- Classements des sites de rencontres par The Bridge et Savvy Japan :http://thebridge.jp/en/2013/07/top-5-japanese-online-dating-sites



493 vues
bottom of page