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[QCJ] Élections municipales : pourquoi peut-on voir des programmes WTF dans les rues de Tokyo?


(Les élections municipales de Tokyo 2020. Sources: Yahoo Japan)

Que ce soit à Paris ou à Tokyo, 2020 sonne l’heure des municipales. Masqués et mains désinfectées, ce sont près de 484,670 Tokyoïtes qui sont ainsi appelés aux urnes ce dimanche 05 juillet pour élire le nouveau gouverneur de Tokyo.

Si côté hexagone les slogans kaamelotiens de Karadoc ou Léodagan font régulièrement sourire les bénévoles lors du dépouillement, au Japon, ces derniers pourraient très bien être au cœur de véritables campagnes électorales ! Et pour cause, à chaque élection, la ville arbore son lot de campagnes What The Fuck (WTF).



(En 2017, l'équipe du roi Arthur avait gagné quelques suffrages. Sources : Facebook/PrésidenCIEL 2017)


Des élections importantes

Avant de parler de ces monstres d’originalité, faisons un rapide point sur les élections municipales.

Composé de 47 préfectures pour 1,719 municipalités, le Japon donne beaucoup d’autonomie à ses mairies depuis la loi de 1995 sur la répartition du pouvoir politique. Les élus municipaux ont désormais leur mot à dire sur la gestion des déchets, des services d’eau, ou des établissements publics. Et leurs décisions peuvent donc influencer grandement la qualité de vie des occupants. Notamment à Tokyo, qui compte plus de 13 millions d’habitants.

En tant que préfecture, Tokyo n’est pas sous la direction d’un maire, mais d’un gouverneur pendant 4 ans. Puisque la capitale affiche 23 arrondissements en son centre, 26 villes, 4 bourgs et 8 villages.

Actuellement à la tête de la mairie, Yuriko Koike (67 ans), ancienne présentatrice TV et affiliée au Parti Libéral Démocrate (parti au pouvoir), remettra son premier mandat en jeu. La gouverneure se présente cette fois-ci en toute indépendance, sans le soutien du Premier ministre, et soumettra de facto son bilan au bon jugement de l’opinion publique.

Suite aux récents événements, les candidats au siège de gouverneur, comme ceux en lice pour l’Assemblée Métropolitaine de Tokyo, sont attendus au tournant. Surtout sur deux points : l’avenir de feu les Jeux olympiques et paralympiques 2020 et la gestion de l’épidémie de COVID-19.




(Actuelle gouverneure de Tokyo, Yuriko Koike se présente pour un second mandat ce dimanche 05 juillet. Source : Flick/World Economic Forum)

Le pire et le meilleur des programmes WTF édition 2020

Entrons désormais dans le vif du sujet. Ici, point de programme passe-partout. Nous nous concentrons sur la crème de la crème, les outsiders de la politique (peut-être), mais le ‘’fleuron’’ de la communication visuelle. Parce qu’il faut bien rendre hommage à ces pépites, voici cinq campagnes peu dépourvues d’originalité.

Shindo Kana, 27 ans, Nouveau Parti Horiemon de Horie Takafumi


Ancienne étudiante à Waseda, Shindo Kana a beaucoup fait parler d’elle sur les réseaux sociaux. Candidate dans l’arrondissement de Kita-ku ( ̶m̶o̶n̶ ̶a̶n̶c̶i̶e̶n̶ ̶q̶u̶a̶r̶t̶i̶e̶r̶) pour un siège à l’Assemblée Métropolitaine, la demoiselle est partie en campagne avec une affiche plutôt inattendue.

En soutien-gorge avec les Abe no Mask (surnommés Abe no Mask Bra (アベノマスクブラ) pour l’occasion), elle a soulevé la question de la nudité sur les affiches électorales. Interrogée à ce propos par le média japonais go2senkyo, elle a alors souligné que son affiche était ironique et ne visait pas à diviser l’opinion. Elle voulait simplement montrer que les Abe no Mask étaient une dépense inutile selon elle, et que le budget aurait pu être alloué différemment.

Sinon, elle fait aussi des vidéos sur sa chaîne Youtube Princess Yuzuka depuis 3 ans.


(Elle aura eu le mérite d’attirer l’attention sur elle, Shindo Kana candidate à l’Assemblée Métropolitaine de Tokyo. Source : go2senkyo)

Goto Teruki, 37 ans, Parti Transhumaniste

En lice pour la mairie de Tokyo, Goto Teruki a autant surpris par son cosplay du manga Code Geass que par son programme très personnel. Ses idées ? Légaliser la polygamie, créer une monnaie spécifique à la capitale, implanter des puces électroniques aux citoyens, créer un nouvel arrondissement - virtuel bien sûr car la modernité se vit en 2.0- et rattacher Taïwan à l’archipel. Entre autres.

Sur NHK, on se souvient notamment de son intervention très remarquée en couche culotte… sale.



(Sources : NeoTokyo2099)

(Le candidat donne tout de 0’40 à 1’16. Je précise au cas où les 6 mins seraient de trop)



Hiratsuka Masayuki, 38 ans, Parti de la Souveraineté Populaire

Candidat au poste de gouverneur, Hiratsuka Masayuki aborde l’un des points clé de cette campagne en soulignant que le COVID-19 n’est « qu’un rhume », pour lequel « il faut retirer son masque et sortir s’amuser ». Explications dans cette vidéo qui se suffit à elle-même.






Komiyama Hiroshi, 46 ans, sans parti


Candidat à la marie de Tokyo, Komiyama Hiroshi surprend par son costume et son histoire personnelle. Si les vêtements qu’il porte sur son affiche peuvent faire sourire, on ne rigolera pas de son programme accès sur l’aide aux populations fragilisées économiquement par la crise sanitaire. Autrefois gérant d’un restaurant à Fukuoka, l’homme aujourd’hui sans emploi aurait mis la clé sous la porte après le décès de son associé des suites d’un cancer. Depuis, il raconte son histoire près de la gare de Shimbashi où il émeut les passants. Et ramasse de temps à autre mégots de cigarette et autres canettes tombées au sol pour rendre service à la communauté.

À noter que certains médias le disent alcoolique.



(Inconnu en politique jusqu’alors, Komiyama Hiroshi n’a rien à perdre dans cette campagne électorale. Source : arabnews.jp)

Tachibana Takashi, 52 ans, Parti Qui Protège le Peuple Contre NHK


Également dans la course pour le siège de gouverneur, cet ancien employé de NHK est aujourd’hui à la tête du NHK Kara Kokumin Wo Mamoru To (NHKから国民を守る党) , le ‘’parti qui protège le peuple contre NHK’’. Sa devise ? Anéantir NHK. La clé de voûte de son programme ? Les personnes qui ne regardent pas NHK ne devraient pas payer la redevance télé. Dans son élan, il a aussi partagé sur internet des informations personnelles relatives à certains souscripteurs de l’entreprise. Son procès débutera bientôt. Oups.



(Tachibana Takashi part en guerre contre NHK, la compagnie derrière la gestion des stations de radio et de télévision du service publique japonais. Source : madonanews.jp).

Si vous vous demandez comment de tels candidats peuvent prétendre à impacter la vie de 13 millions d’individus, il faut se tourner vers le fonctionnement du système électoral nippon. Car bien que les enjeux soient importants, la législation japonaise admet la liberté de candidature pour tous.

Le liberté de candidature, ou l’apanage du programme fait maison

A chaque élection, ses conditions. Et au Japon pour devenir maire, il ne faut pas en remplir beaucoup.

En effet, si vous désirez prétendre à la mairie de Tokyo, il ne faudra remplir que deux conditions préalables : être de nationalité japonaise et avoir au moins 30 ans (ndlr : l’âge minimum descend à 25 ans pour les candidats à l’Assemblée Métropolitaine). Quid de votre expérience en politique, tout le monde s’en tape (sauf peut-être les électeurs). C’est ce qu’on appelle le rikkôho no jiyû (立候補の自由) ou la liberté de candidature, un principe qui veut garantir au plus grand nombre le droit de se présenter.

Afin d’éviter les dérives, une petite condition a néanmoins été ajoutée. Basé sur le principe qu’allonger les billets renforcerait la responsabilité, les candidats potentiels sont invités à débourser 3 millions de yens pour entrer en course.

Que faire si on ne les a pas ? Emprunter ! Le dépôt étant confisqué si les candidats abandonnent ou ne glanent pas assez de suffrages, ses frais peuvent en effet être remboursés si les challengers réunissent plus de 10 % des suffrages exprimés.

Un à deux mois avant de faire campagne, la Commission Administrative des Élections du Gouvernement Métropolitain de Tokyo (東京都選挙管理委員会) convoque également les candidats pour une séance d’information où le calendrier électoral leur est présenté. On en déduit qu’il y aurait donc quand même un examen des dossiers à ce moment-là. Ouf. Ça serait dommage de parier sur le mauvais cheval !


(Les conditions d’élections selon le Senkyo-Rikouho, le site de coaching pour se présenter à des élections diverses et variées au Japon)


Si vous avez le pécule et que vous êtes motivé, vous pouvez donc prétendre aux municipales avec votre programme fait maison. Cela dit pour ce qui est des affiches et de la communication stricto sensu, l’originalité devra respecter quelques impératifs. Mais rassurez-vous, là encore, ils ne sont pas nombreux.

L’affiche politique au Japon, ou le droit d’oser

Se différencier peut avoir du bon pour faire parler de soi. Et ça, le système électoral japonais l’a bien compris.

En effet, le texte de loi sur l’affichage politique fait trois pieds de long mais ne mentionne quasiment rien sur le contenu de l’affiche. On retient surtout que ces dernières n’ont pas le droit d’être affichées sur autre chose que l’endroit prévu à cet effet (le fameux Senkyo postā keijiba), et ce, uniquement pendant la période de campagne.

Vous n’êtes pas très photogénique ? Vous n’aimez pas votre prénom ? Pas besoin de les exposer sur la place publique. A contrario, affichez ceux de votre mentor !

Hattori Osamu et Saito Kenichiro, deux collègues de la candidate à l’Abe no mask bra, ont quant à eux reprit la photo de Horie Takafumi sur leurs propres affiches. Et ça ne les empêche pas de prétendre à la mairie de Tokyo, puisque d'après la loi, seuls doivent apparaître explicitement les noms et adresses de l’imprimeur et du commanditaire des supports électoraux.

Dire cependant que les deux candidats ne sont pas bien malins seraient un euphémisme, puisque non-contents de reprendre la photo d’autrui, les concurrents ont choisi exactement le même design ! Ils se retrouvent donc avec deux affiches similaires en tout point, et nul doute que cela leur jouera des tours au moment du scrutin.



(Les affiches des candidats affiliés Horiemon sont au coeur d’un polémique. Sources : tokyo-np.co.jp)


Pour ce qui est des autres injonctions, les affiches n’ont même pas d’obligation de forme. Et bien que la coupe au carré soit très précisée aux élections, elle pourrait tout aussi bien être ronde ou triangulaire du moment qu’elle respecte les dimensions autorisées (42x10cm). C’est notamment ce que souligne le Huffingtonpost japonais :

« Il n’y a pas de forme d’affichage précis. Les affiches carrées sont les plus utilisées, mais elles pourraient très bien être rondes, rhombiques ou d’une autre forme encore »

(Huffingtonpost, 2020)

Enfin, quant aux visuels à proprement parler, tant que ça ne déroge pas aux règles mises en place en matière de nudité ou d’images à caractère violent, tout est permis. Même le plus ridicule.

C’est ce qu’a rappelé le Ministère de la Communication et des Affaires internes en 2015, alors interrogé par le Japan Times sur l’affiche de Goto Teruki (encore lui!) complètement nu lors de sa candidature à l’arrondissement de Chiyoda :

« Les affiches ont pour but de présenter les candidats et leurs activités. Le contenu n’est pas régulé par la loi »

(Japan Times, 2015)


(Niveau originalité, Goto Teruki était déjà au top . Sources : JapanTimes)


Conclusion

Le système électoral japonais est plutôt flexible. Il permet d’avoir une multitude de candidats aux élections. Et d'offrir à ces derniers la possibilité de faire preuve d’une imagination sans (presque) aucune limite.

Quant à savoir si l’originalité paie, rendez-vous dimanche 05 juillet pour le découvrir.

Sources

ARAB NEWS (Coll.) « Homeless man runs for Tokyo Governor », arabnews.jp, 2020. [En ligne à l’URL]: https://www.arabnews.jp/en/japan/article_19891/

CITY MAYORS (Coll.), «Japanese local government

and mayors of largest cities », citymajors.com, 2020. [En ligne à l’URL]: http://www.citymayors.com/mayors/japanese-mayors.html

HUFFINGTONPOST (Coll). « 都知事選のポスター、本人の写真じゃなくていいの?どこまで自由なのか選管に聞いてみた», huffingtonpost.jp, 2020. [En ligne à l’URL]: https://www.huffingtonpost.jp/entry/candidates-posters_jp_5efaa776c5b6acab284609ab

KYODO NEWS (Coll.) « PROFILES: Candidates of Tokyo governor election », kyodonews.net, 2020. [En ligne à l’URL]: https://english.kyodonews.net/news/2020/06/a62339ce37ca-profiles-candidates-of-the-tokyo-governor-election.html

MITSURU Obe « Tokyo gubernatorial election on July 5: Five things to know », asia.nikkei.com, 2020.[ En ligne à l’URL]: https://asia.nikkei.com/Politics/Tokyo-gubernatorial-election-on-July-5-Five-things-to-know

OSUMI Magdalena, « Right-wing candidate's nude campaign poster skirts election law », Japan Times, 2015. [En ligne à l’URL]: https://www.japantimes.co.jp/news/2015/04/23/national/politics-diplomacy/right-wing-candidates-nude-campaign-poster-skirts-election-law/

REIKI METRO TOKYO (Coll.). Entrée: 東京都選挙執行規程. [En ligne à l’URL]: http://www.reiki.metro.tokyo.jp/reiki/reiki_honbun/g101RG00000067.html#e000000912

SENKYO METRO TOKYO (Coll). Entrée: 期日前投票中間状況<期日7日前>. [En ligne] à l’URL: https://www.senkyo.metro.tokyo.lg.jp/uploads/r2chiji_kizitsuzen7.pdf

SENKYO RIKKOUHO (Coll.). Entré: 選挙に立候補するには【立候補に必要な条件】. [En ligne à l’URL]: https://senkyo-rikkouho.com/rikkouho-jyoken.html

TOKYO WEB (Coll.), « 不出馬なのに「ホリエモン」ポスターはなぜOK? 都知事選で選管に問い合わせ300件超», tokyo-np.co.jp, 2020. [En ligne à l’URL]: https://www.tokyo-np.co.jp/article/38629

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