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[Question-Con-Japon] YURU CHARA : d'où vient le culte des mascottes au Japon ?






Elles sont grandes, elles sont mignonnes, elles sont célèbres, non je ne parle pas du dernier girls band à la mode mais bien des Yuru Chara, les mascottes régionales !


Si vous vous êtes déjà promené(e) dans les quartiers animés des grandes villes, vous en avez sûrement déjà croisées une ou deux. Un peu pataudes, faisant de grands signes pour attirer l'attention, les mascottes font partie intégrante de la culture japonaise. Et qu'elles représentent une marque ou une région, on ne saurait se passer d'elles.


Très appréciées des Japonais, les Yuru Chara sont en effet de véritables icônes au pays du soleil levant !

Opérateur téléphonique, office du tourisme, et même police nationale, de nombreux organismes ont aujourd'hui recours à ces mascottes pour faire la promotion de leurs services. Un engouement qui dépasse parfois le simple aspect économique, puisque la renommée de certaines mascottes va bien au-delà de l'attrait qu'on porte aux organismes qu'elles représentent !


En effet, certains personnages ont su toucher un public bien plus large que leur audience habituelle. À l'image de Kumamon, qui a su séduire plus que les simples adorateurs de Kumamoto et dont la popularité s'exporte désormais dans tout le Japon.


Les mascottes m'intriguant déjà depuis quelque temps, j'ai décidé cette fois-ci de me pencher sur leur cas ! Comment expliquer la folie des Yuru Chara au Japon ? C'est notre question-con du mois !









Notre sujet : un produit marketing devenu phénomène de société


Afin de comprendre un peu mieux de quoi on parle, remontons dans le temps, à l'époque où Kumamon ne prenait pas le train et où les mascottes ne tenaient pas encore de pancarte publicitaire à Shinjuku.


Si aujourd'hui Kumamon et ses amis sont de véritables stars sur l'archipel, il n'en a pas toujours été ainsi. Et en réalité, ce n'est qu'en 1990 qu'apparaissent officiellement les premières Yuru Chara.


Pourtant, ce ne sont pas les premières mascottes à avoir vu le jour au Japon. Avant elles, une longue tradition de mascottes 2D sévissait déjà dans tout le pays : les logos en forme d'animaux !



Source : Flick/ st_gleam




Les premiers logos en forme d'animaux apparaissent dès l'ère Meiji (1868-1912) sur les paquets de cigarettes. Chien, chat, ours, cochon, de nombreux petits animaux sont crées pour dynamiser le commerce du tabac. Une stratégie marketing qui s'étend ensuite au commerce de l'alcool et du textile dans les années 1950, à l'image de la célèbre marque de whisky Nikka dont les bouteilles s'ornent d'un petit ours aujourd’hui encore emblème de l'enseigne.




Photo : Bouteille de 1940 (source : Wine Searcher




Les mascottes 2D continuent alors d'être utilisées à des fins marketing sans réellement attirer l'attention du grand public jusqu'en 1960. Après quoi, elles débarquent dans la presse féminine et leur marché explose: c'est le début de l'engouement pour les mascottes !


Soucieux d'élargir leur cercle de lectrices, les éditions Shufu To Seikatsusha, leader du marché à l'époque, ont en effet l'idée de créer tout un tas de petits personnages dans l'espoir de plaire à un public plus jeune. Une stratégie marketing qui a payé, puisque les jeunes filles ont immédiatement demandé aux éditions de continuer la production de personnages comme le souligne Shujiro Murakawa, directeur marketing actuel de l'entreprise :


« La forme en cœur du logo a été dessiné pour attirer directement les jeunes filles et stimuler une réponse émotionnelle. Ça été un succès […] et les lectrices ont même demandé la création de bagues et de pendentifs à son effigie »

(Comparative Culture)



Dès lors, les premiers produits dérivés de mascottes japonaises apparaissent. Bijoux, porte-clés, petits accessoires, le marché des produits dérivés grandit et devient le filon à exploiter par toutes les entreprises qui aimeraient booster leurs ventes. Dans les années 1970, le marché devient même un business à part entière, et la marque Sanrio s'en empare en créant l'une des mascottes japonaises les plus populaires de l'histoire : Hello Kitty.




Source : Flick/ Itaton




Mais où sont donc nos Yuru Chara dans tout ça ?


Techniquement parlant, les Yuru Chara désignent les mascottes d'une manière générale.

Contraction de l'expression « Yurui Masukotto Kyarakuta », littéralement « Mascottes Gentillettes » (et j’insiste sur le ''gentillettes'' car « yurui » signifie autant mignon qu'un peu con-con), les Yuru Chara désigneraient aussi bien les mascottes rattachées à une marque comme Hello Kitty que les mascottes régionales comme Kumamon. Cela dit, une légère distinction est faite entre ces dernières, puisque le terme approprié pour parler des mascottes régionales serait en réalité « Gotochi-chara » (mascottes locales). Une distinction qui semble être passée à la trappe dans le langage courant puisqu'on utilise communément le terme « Yuru Chara » pour parler des mascottes régionales tandis que les mascottes commerciales sont désignées par le terme « Kyarakuta » (personnages).


Les Yuru Chara au sens vernaculaire du terme apparaissent donc au milieu des années 1990, lorsque le gouvernement japonais décide d'utiliser des mascottes pour promouvoir le tourisme national.

Plusieurs préfectures se dotent alors d'un petit animal humanoïde pour vanter les mérites de leur région, et très vite, ce qui n'était qu'un simple outil marketing devient en quelques années un véritable phénomène de société. Les visites de certaines régions se sont accrues juste pour pouvoir admirer les mascottes (à l'image de celles de la préfecture de Hikone qui a boosté ses recettes de 60 % l'année de la création de sa mascotte Hikonyan) et on compterait désormais plus de 1 200 Yuru Chara sur l'archipel d'après l'Office du Tourisme Japonais ! Un engouement pour les personnages qui n'est pas près de s'arrêter quand on sait que le concours annuel des Yuru Chara intéresse chaque année de plus en plus de personnes.



Photos : Hikonyan, ambassadeur du château de Hikone, offre plusieurs fois par jour une démonstration de ses talents : poser à la demande des touristes en tenant des objets de formes diverses! Et pour quelques yens de plus, vous pouvez même apparemment lui faire un câlin




En effet, depuis 2010, la Society of Organized Yuru Chara organise le Yuru-Chara Grand Prix, un concours de popularité de deux jours à l'issu duquel la Yuru Chara de l'année est sacrée.

Les votes sont ouverts plusieurs mois à l'avance sur internet, et la compétition rassemble chaque année de plus en plus de participants. L'année de sa création, le concours avait déjà rassemblé près de 240 000 votes ! Un chiffre qui peut paraître énorme pour de simples peluches grandeur nature mais qui n'est rien quand on sait qu'en 2016 la mascotte arrivée à la première place (Shinjo-kun de la préfecture de Koichi) comptabilisait à elle seule plus de 6 400 000 votes !




Photo : Shinjo-kun, Mister Mascotte de l'année 2016 (source : Flick/monoOx)



Aujourd'hui, les Yuru-Chara représente un marché de 17 milliards d'euros. On ne compte plus les goodies à leur effigie, et les mascottes sont régulièrement invitées à la télévision pour faire le show.

Comment en est-on arrivé là ? C'est justement ce qu'on va tenter de comprendre !






Hypothèse 1 : un artefact de la mode kawaii ?



Les mascottes, c'est doux, ça sent bon, ça nous donne l'impression d'être lavé avec Mir Laine, mais c'est surtout extrêmement kawaii !








On ne présente plus le Kawaii, cette mode qui prône la mignonnerie à l’extrême. Que ce soit à travers des vêtements, des attitudes, ou des personnages, la mode Kawaii est présente au Japon depuis les années 1970. Une mode qui aurait désormais des ambassadeurs un peu partout sur l'archipel, dont les Yuru-Chara !


Selon les universitaires Toshiyuki Yamashita et Sayako Ito, tous deux professeurs de psychologie-sociale à l'université de Tokyo, le design des mascottes régionales dériverait directement de la vague Kawaii.

Il serait alors emprunt des mêmes valeurs que celles prônées par le mouvement, et serait un élément décisif quant à la cote de popularité d'une Yuru-Chara.

Une étude réalisée par le duo en 2014 a même montré que de grands yeux rieurs et une petite bouche étaient des attributs importants pour séduire le public :



« Les résultats ont montré que les impressions ''d'originalité'' et de ''sophistication'' étaient importantes pour juger de la ''préférence'' et du ''caractère mignon'' d'une mascotte, tout comme les combinaisons de soit des yeux blancs cerclés de noir ou des yeux fermés avec un nez rond, soit une bouche rieuse ou en forme d'animal, étaient importantes et faisaient meilleures impressions »

(International Journal of Affective Engineering, 2014)



En 2009, une étude réalisée par le groupe japonais NTT Research avait déjà montré le lien qui existait entre l'aspect kawaii des mascottes et la popularité de ces dernières. Selon l'organisme, la mignonnerie affectait positivement le panel et déclenchait chez lui des sentiments de bien-être qui aidaient à rendre la mascotte appréciable :


« [Le panel devait cocher plusieurs réponses à la suite de la question ''Que ressentez-vous en regardant Kumamon ?''] Je me sens bien (55,9%) ; Je me sens détendu (37%) ; Je me sens moins seul (30,2%) »

(Response, 2018)




Si les résultats peuvent surprendre, ils s'expliqueraient en réalité tout simplement par ce qui se cache inconsciemment derrière le Kawaii : la nostalgie de l'enfance perdue et le désir de fuir le temps présent !


En effet, pour l'universitaire Mark I.West, éditeur de « The Japanification of Children's Popular Culture: From Godzilla to Miyazaki », un livre regroupant plusieurs articles sur la culture populaire japonaise, le Kawaii serait une échappatoire. Dans une société où la pression sociale est forte et où les codes sociaux sont stricts, la mignonnerie permettrait alors de retourner un bref moment en enfance, à une époque où les règles sociales étaient moins perceptibles et où notre problème principal était de savoir de quelle couleur nous allions colorier notre dessin du jour. Des sentiments positifs ̶(̶s̶a̶u̶f̶ ̶p̶o̶u̶r̶ ̶l̶e̶s̶ ̶a̶i̶d̶e̶s̶-̶m̶a̶t̶e̶r̶n̶e̶l̶l̶e̶s̶)̶ qui feraient qu'on apprécierait facilement les Yuru-Chara.








Aurait-on donc trouvé cette fois-ci la réponse du premier coup ? ... Bien sûr que non !


Bien que le lien entre popularité et kawaii ait été prouvé par plusieurs expériences au cours des dernières années, il ne permet pas pour autant d'expliquer l'engouement massif des Japonais pour les Yuru-Chara. Les mascottes surfent bien sur la vague kawaii pour attirer le public, mais cela ne suffit pas pour ancrer leur popularité dans la durée. Pour cela, il faudrait qu'on puisse s'attacher à la mascotte, un phénomène que le marketing japonais semble avoir parfaitement compris puisqu'il fait en sorte que la Yuru-Chara ne soit pas qu'une simple peluche…








Hypothèse 2 : la stratégie marketing du ''doudou'', une stratégie gagnante ?



Quels sont les traits communs à la plupart des mascottes ? Leur démarche de bibendum Michelin ? Leurs proportions surréalistes ? Le fait qu'elles soient toutes plus grandes que moi ?! Certainement, mais surtout le fait qu'elles prennent pour la grosse majorité d'entre elles la forme d'un animal ou d'un végétal humanoïde !


Qu'elles aient les traits d'un chat, d'un oiseau, d'un ours, ou même d'un fruit, les Yuru-Chara sont toutes bipèdes et douées d'une personnalité propre.


Nous avons Funasshi, la poire surexcitée de la ville de Funabashi (préfecture de Chiba), Kumamon, l'ours brun un peu poil vicieux de Kumamoto, Kami-go, le Jean-Sebastien Bach de la ville de Kami (préfecture de Kochi, île de Shikoku), et encore tant d'autres ! Chacune a son petit caractère et aurait même sa propre histoire.



Photos : Rencontrez Kami-go-kun, Kumamon-kun et Funasshi-kun




En effet, les sites des préfectures mettent souvent en ligne le profil de leurs employés en peluche. On sait ainsi que Kumamon est né en 2010, qu'il aime rajouter des ''mon'' à la fin de ses phrases lorsqu'il parle de son amour pour Kumamoto, et que c'est un excellent influencer puisqu'il gère à la perfection les hashtags ''goodlooking'' et ''kawaii'' sous les nombreux selfies de son compte Instagram.


Quel est le but recherché dans tout ça ? Tout simplement celui de personnifier au maximum les mascottes !


Les Yuru-Chara étant personnifiées à l'extrême, le public peut alors plus facilement les considérer comme des êtres vivants. Un bon moyen de s'attacher à elles sur la durée, qui se ressent également par le fait qu'on va même jusqu'à s'adresser à elles comme si on s'adressait à de véritables personnes.




Photo : D'ailleurs l'ours de Kumamoto a actuellement plus de 160 000 followers sur Intagram, je devrais peut-être prendre exemple




Et pour cause, on utilise les mêmes suffixes pour parler des mascottes que pour parler de ses congénères : -kun, -chan, -san, les Yura-Chara sont totalement humanisées.


Mais cela ne veut pas dire pour autant qu'on les considère comme de véritables êtres humains !

En général, ces suffixes sont employés pour parler des êtres ''vivants'' dans leur ensemble. Homme, chien, chat, et même kami (esprits shinto), les suffixes sont utilisés pour parler de toute chose qui existe dans la nature. C'est pourquoi, il n'est pas rare de voir les Japonais s'écrier « Neko-chan » quand ils voient un chat dans la rue au même titre que « Aka-chan » quand ils veulent parler d'un bébé qu'ils ont vu dans le métro. Cela viendrait de la religion Shinto qui amènerait à valoriser la nature, et à respecter tout être qui s'y rattache qu'il soit physique ou spirituel.


À défaut d'être perçues comme des êtres humains, les Yuru-Chara seraient donc considérées comme quelque chose de ''vivant'' ou du moins de ''réel'', auquel on peut facilement s'attacher. Un phénomène qui rappelle étrangement celui que je nomme le ''phénomène du doudou'' !







On en a presque tous eu un lorsqu'on était petit, il s'appelait Bibou, Minou ou Kiki, le doudou était notre meilleur ami ! On le cajolait pour s'endormir, on le traînait un peu partout dans la maison, et personne ne devait nous dire que ce n'était qu'une peluche, car pour nous il était bien réel !


En effet, avant 5 ans, les enfants ont tendance à confondre le réel avec l'imaginaire. Ils considèrent les peluches comme de vrais êtres vivants, ne font pas de différence entre un vrai chat et un chat en coton, et cela leur permet d'appréhender le monde qui les entoure. C'est ce que souligne notamment le pédiatre français Jacky Israel interviewé sur le sujet par le magazine Parents :



« Pendant les cinq premières années de leur vie, les enfants ne mettent pas de barrière entre l’imaginaire et le réel. Pour eux, le monde animal et le monde humain, le monde des objets et le monde des vivants, c’est la même chose. Les animaux, qu’ils soient réels, dessinés ou en peluche, éprouvent des sentiments, parlent, jouent, vivent comme les hommes. L’ours est une personne qui répond à leurs besoins, grâce à lui, ils peuvent créer des situations imaginaires et s’entraîner à vivre des scènes de la vie quotidienne. Ils se l’approprient pour pouvoir s’en séparer vers 5-6 ans, ça fait partie du développement. »

(Parents, 2017)





Je ne suis pas ici en train de comparer les fans de Yuru-Chara à des enfants de 5 ans, mais je souligne simplement que la manière dont ces mascottes sont considérées est assez proche du ''phénomène du doudou'' : la mascotte est devenue un personnage en soi, qui a sa propre personnalité, sa propre histoire, et on interagit avec elle comme si le personnage était réel. On peut donc penser que le ''phénomène du doudou'' aurait été déclenché par la stratégie marketing de personnification, et aurait ainsi aidé les Japonais à se familiariser avec les Yuru-Chara.



Photo : MAMAAAAN ! J'ai encore perdu Doudou !!! (source : Flick/jakepjohnson)




Nous avons un parallèle, d'accord. Mais cela permettrait-il d'expliquer complètement l'engouement que porte l'archipel aux Yuru-Chara ? J'en doute.

En effet, si la stratégie est efficace au Japon, elle ne l'est pas forcément dans toutes les aires géographiques. Et en France par exemple, à part la mascotte de Cetelem qui déambule parfois dans les allées du salon du courtage, il est assez rare de croiser des mascottes IRL. Quand bien même on en croiserait, je ne suis pas sure non plus qu'on irait jusqu'à leur demander une photo ou qu'on oserait les toucher sous prétexte qu'elles passent à la télé. Comment explique-t-on alors une telle différence de culture ? Probablement par le fait que la société japonaise admet déjà que des êtres à forme animale puissent avoir une personnalité propre…








Hypothèse 3 : le Japon, un terrain de choix pour les mascottes ?


Bien que l'anthropomorphisme ait grandement aidé à asseoir la popularité des Yuru-Chara sur la durée, cela n'aurait pas été la même histoire si le shintoïsme ne lui avait pas facilité le terrain !

Ce n'est pas moi qui le dis, mais Michael Meynard, professeur associé à l'université Temple (Tokyo) et spécialiste des médias japonais.


Pour lui, les Yuru-Chara seraient populaires de part leur affinité avec la religion shinto. Elles prennent des formes animales tout en ayant des caractéristiques humaines comme les kami, et sont considérées comme des personnages à part-entière. Une comparaison qu'on pourrait même pousser encore plus loin selon le chercheur, puisque les mascottes auraient également des propriétés semblables à celles des divinités ! Elles soigneraient les maux, apporteraient la joie, et certaines Yuru Chara comme Kumamon auraient même de quoi passer pour de véritables icônes religieuses :



«  Kumamon et Jizô [divinité bouddhique censée guider l'âme des enfants décédés vers l'au-delà] partagent tous les deux une apparence humaine. Kumamon est un ours qui serait en fait un petit garçon, et Jizô prend souvent les traits d'un jeune moine bouddhiste. Les deux sont de forme ronde et ont des proportions démesurées, ils ressemblent à des enfants et s'approchent du ''kawaii'' […] Kumamon a une âme tout comme la statue de pierre. Jizô est une icône spirituelle de la miséricorde, de la santé, et de la guidance. Kumamon vient au secours de la promotion de l'économie régionale et rend les gens heureux. Tous les deux sont enracinés et proches de la communauté locale »

(Response, 2018)



Le fait que les mascottes bénéficient du background shinto du pays expliquerait alors pourquoi cet engouement collectif autour des Yuru-Chara n'a pas réellement d'équivalent en Occident : l'anthropomorphisme des mascottes avait plus de chance de trouver son public dans une société où on était déjà ''ouvert'' à l'idée que des êtres pas-tout-à-fait-vivants et ressemblant à des animaux puissent avoir une personnalité propre.



source : Flick/ Christian Kaden




On saurait donc désormais pourquoi les mascottes sont si populaires sur l'archipel ! Leur design kawaii attire un certain public, la stratégie marketing qui les entoure est aussi efficace que celle de Beyoncé, et le shintoïsme a grandement aidé à l'application de cette dernière. Pourtant, quelque chose me chiffonne... toutes les mascottes ne sont pas populaires ! Et certaines aussi cute soient-elles ont totalement été rejetées par les Japonais, à l'image du lapin NOVA.

Que faut-il donc de plus que de grands yeux écarquillés pour séduire le public nippon ? Apparemment, des valeurs qui rassemblent…



Hypothèse 4 : des personnages qui rassemblent ?


Vous la connaissez l'histoire du lapin dont la cote de popularité a descendu encore plus vite que celle d'Emmanuel Macron ? Non ?! C'est celle du lapin NOVA !


École de langues bien implantée sur l'archipel, NOVA a connu quelques problèmes financiers au début des années 2000. Une crise qui l'a conduite à la faillite en 2007 et qui a entraîné avec elle la chute de son lapin, NOVA Usagi :



« Le Nova Usagi, un lapin rose et mascotte de l'école NOVA, a été crée en 2002 et a atteint le statut de ''star'' en tant que mascotte les cinq années qui ont suivi sa création via des pubs à la télévision […]. Malheureusement, NOVA est devenue célèbre pour ses mauvais choix en matière de business et a fait faillite en 2007. L'école a ré-ouverte en avril 2009 sous une direction différente en gardant le lapin Usagi comme mascotte, mais n'a pas encore été bien ré-accepté par le public qui reste sceptique. Sans surprise, aucune figure de lapins n'est trouvable dans les magasins »

(Comparative Culture, 2010)



Lorsque l'universitaire Debra J.Occhi écrit son papier sur les Yuru-Chara en 2009, le lapin NOVA était encore la mascotte de l'école bien que plus aucun goodies ne soit produit à son effigie. Aujourd'hui, NOVA Usagi n'est plus, laissant croire que la mauvaise presse de son ''employeur'' n'est eu raison de sa popularité.




Photo : Nova Usagi est allé pointer à Hello Work (Source : Flick/ NIKI)




Que doit-on retenir de cette petite histoire ? Pour rester populaire, une mascotte doit véhiculer des valeurs positives. Quelque chose qui est d'ailleurs assez facile de faire pour les mascottes régionales puisqu'elles sont porteuses de l'identité culturelle de toute une zone géographique.


Shinjou-kun (la mascotte de la ville de Susaki dans la préfecture de Kochi) avec son plat de ramen sur la tête, ou encore la princesse Shiromaru-hime avec son chapeau en forme de château en l'honneur d'Himeji-jô dont elle est le symbole, les Yuru-chara ont toutes une petite particularité qui rappelle leur lieu d'origine. Un moyen pour les Japonais de s'identifier à leur mascotte régionale, et de se rassembler autour de cette dernière.

À moins que moins que cela ne dépasserait les frontières de la région ?


En effet, les mascottes véhiculent bien plus qu'un simple sentiment d'appartenance communautaire. Avec leur positivité et leur omniprésence même dans les moments difficiles (elles sont toujours présentes par exemple lors des discours des officiels régionaux suite à une catastrophe naturelle), les Yuru-Chara portent des valeurs universelles, communes à l'ensemble de la population. Elles symbolisent l'esprit du ''gambaru'' (faire de son mieux, aller de l'avant), une notion chère à la société japonaise, et on peut se retrouver dans chacune d'elles.

Les mascottes rassemblent donc à l'échelle du pays entier, et ce serait ça leur véritable secret !




Photo : son altesse Shiromaru-Hime et son imposant couvre-chef (source : Flick/ m9mii13z)




Conclusion


La popularité des Yuru-Chara serait dû à une association de facteurs. Les mascottes surfent sur la mode kawaii, jouent sur une stratégie de personnification à l’extrême qui a été facilitée par le shintoïsme, et prônent des valeurs positives dans lesquelles le plus grand nombre peut se retrouver. Les Yuru-Chara sont donc le résultat de ce que la culture japonaise peut produire de plus original, et elles restent un phénomène assez unique en son genre qu'on aurait du mal à retrouver sur l'hexagone. Imaginez deux minutes un Grand Prix entre Cetelem et Monsieur Propre… non, vraiment non !



Sources


Articles et livres


ITO Sayako, YAMASHITA Toshiyuki, « Applying Rough Set to Analyze Pschycological Effect of Mascot Character Design », International Journal of Affective Engineering, vol.13, n°3, 2014, p159-165. [En ligne] à l'URL: https://www.jstage.jst.go.jp/article/ijae/13/3/13_159/_pdf


KRIEGER Daniel, « The busy life of Japan's super furry creatures », Japan Times, 2011. [En ligne] à l'URL: https://www.japantimes.co.jp/life/2011/03/03/lifestyle/the-busy-lives-of-japans-super-furry-creatures/#.WcoEp8hJbIV


KYODO (pseud.), « Popularity contest afoot between local mascotts », Japan Times, 2011. [En ligne] à l'URL: https://www.japantimes.co.jp/news/2011/11/23/national/popularity-contest-afoot-between-local-mascots/#.WcoEsMhJbIV


MARCHI, Catherine, « L'ours, le meilleur ami des enfants », Parents, 2017. [En ligne] à l'URL: https://www.parents.fr/enfant/culture-et-loisirs/lours-le-meilleur-ami-des-enfants-13472


MASTER BLASTER (pseud.), « This year’s contest to choose Japan’s greatest mascot attracting some shady characters », Soranews, 2016. [En ligne] à l'URL: https://soranews24.com/2016/09/21/this-years-contest-to-choose-japans-greatest-mascot-attracting-some-shady-characters/


MAYNARD Michael, « Kumamon as a Rescue Bear Mascot: Mythical Roots and Modern Reach », Responce, 2018. [En ligne] à l'URL: https://responsejournal.net/issue/2018-06/article/kumamon-rescue-bear-mascot-mythical-roots-and-modern-reach#bio


NIKO (pseud.), « The Essential Guide to Understanding Japan's National Mascot Obsession », Fluentu, 2014. [En ligne] à l'URL: http://www.fluentu.com/blog/japanese/japanese-culture-mascots/


OCCHI J. Debra, « Consuming Kyara ‘Characters:’ Anthropomorphization and Marketing in Contemporary Japan », Comparative Culture, vol.15, 2010, p78-87. [En ligne] à l'URL : https://meilib.repo.nii.ac.jp/?action=pages_view_main&active_action=repository_view_main_item_detail&item_id=119&item_no=1&page_id=24&block_id=45


Autre


Site officiel de l'Association des Yuru-Chara: http://www.yurugp.jp/


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